Dans le monde de la haute joaillerie, il y a les diamants, les pierres précieuses et les pierres ornementales… mais aussi, parfois, des matériaux atypiques, que les maisons de joaillerie utilisent pour en révéler la beauté ou encore signer leur propre identité créative.
Un matériau « atypique » en joaillerie se définit sous plusieurs aspects : soit il se trouve en petites quantités, soit il n’est simplement pas valorisé. Il peut aussi se caractériser par sa difficulté à être travaillé et taillé, comme c’est le cas de certaines roches trop friables. D’autres encore rencontrent des difficultés à être approvisionnés et certains, finalement, sont restreints par des régulations interdisant leur utilisation — l’ivoire d’éléphant par exemple, rarement remplacé par l’ivoire de phacochère pour des pièces sculptées. En voici une petite liste non exhaustive guidée par les recherches de la conférencière et consultante en joaillerie Marie Chabrol.
Pierres ornementales. Le grand retour
Opales, rhodochrosites, chrysoprases, agates, malachites, rhodonites, sugilites, lapis-lazulis… Très colorées, opaques et souvent non facettées, ces pierres ornementales sont souvent considérées comme moins « précieuses » que les rubis, saphirs et autres émeraudes. En vogue dans les années 70, elles avaient été oubliées pendant un certain nombre d’années. Ce n’est qu’à partir de 2016 que les grandes maisons de joaillerie les remettent au goût du jour à travers leurs collections, de Van Cleef & Arpels à Chaumet, en passant par Fred, Cartier ou Boucheron. Aujourd’hui, les créateurs indépendants les utilisent aussi, pour un rendu graphique, coloré, et de nouvelles manières de concevoir leur créativité.
Quartz à inclusions. Remarquable transparence
Le quartz est utilisé depuis longtemps en bijouterie et regroupe en fait des pierres aux aspects bien différents, qu’elles soient opaques ou transparentes, telles que le quartz rose, la citrine, l’améthyste, l’agate ou encore le jaspe. Le quartz à inclusions, lui, renferme différentes matières qui peuvent être solides, liquides ou gazeuses, il est préféré parfaitement incolore et renferme des cristaux. Ici, Marie Chabrol précise : « Ces pierres se trouvent en quantité, mais il s’agit d’abord d’en trouver suffisamment de bonne qualité pour qu’ils puissent être utilisés en haute joaillerie. » L’aspect unique des inclusions peut aussi poser problème lors de la commercialisation des pierres dans le cadre de séries et donc dans le recherche de caractéristiques suffisamment uniformes…
Pebbles. Galets
Commercialisés sous le nom « pebbles », les galets de rivière sont parfois utilisés en haute joaillerie, leur aspect gris sombre, très opaque et épais contrastant avec la délicatesse d’autres pierres précieuses ou le raffinement du dessin du bijou. La Maison Adler a notamment créé la collection Pebbles, associés aux saphirs aux couleurs pastels, évoquant l’objet brut, mais sans l’employer directement dans la création de ses pièces. En 2020 pourtant, Paolo Spalla, bijoutier italien, propose une bague sertie d’un diamant, placé côte à côte avec un pebble monté sur l’anneau. Taffin Jewelry aussi, élabore parfois ses bijoux avec ce matériau. Mais l’utilisation du galet reste somme toute assez rare chez les joailliers, qui travaillent plus volontiers des matières plus nobles et plus douces.
Jaspe Maligano. Découverte récente
La jaspe bréchique est une pierre rouge possédant des inclusions brunes et noires. La jaspe Maligano, découverte en 2011 en Indonésie sur l’île de Sulawesi, est une variété de jaspe bréchique composée de différents types de jaspes formées dans d’anciennes sources chaudes volcaniques. Des veines grises d’agate comblent les brèches pour un rendu très singulier, propre à chaque pierre, constituée d’une multitude d’inclusions. De la même manière que le quartz à inclusions, son aspect unique fait de la jaspe Maligano une pierre difficile à utiliser pour l’industrie de la joaillerie. Elle est ainsi encore très peu présente sur le marché, mais pourrait bien offrir de grandes possibilités créatives aux bijoutiers qui sauraient s’en emparer.
Obsidienne cacahuète. Tachetée
Si l’utilisation de l’obsidienne, roche volcanique tantôt grise, vert foncé, rouge ou noire, n’est pas rare en haute joaillerie, celle de l’obsidienne dite « cacahuète » ou « peanut » est bien moins fréquente. Nommée d’après les petites taches de couleur rouge ou marron évoquant des cacahuètes qui apparaissent à sa surface, cette pierre peut être trouvée au Mexique, aux États-Unis, en Italie ou en Grèce. Pourtant, elle est très rarement travaillée pas les Maisons de bijouterie.
Pomme de pin. Bois pétrifié
En Patagonie, la Cerro Cuadrado Petrified Forest a été ensevelie sous des cendres volcaniques il y a environ 160 millions d’années. Transformée en roche, la cendre a partiellement préservé son écosystème, dont des noix d’araucaria désormais fossilisées. Lors de leur silicification, de la rhodochrosite s’est greffée, donnant une teinte rose aux pommes de pin. La Maison Cartier a ainsi présenté il y a quelques années un collier ainsi orné d’une pomme de pin, sélectionnée avec soin. Mais la dimension aléatoire de ces transformations successives peut poser des difficultés dans l’exploitation de ces bois transformés en roche : il faut absolument de beaux sujets fossilisés, présentant un mélange entre silice et rhodochrosite bien visible. Des facteurs très limitants, malgré le caractère exceptionnel de ces objets.
Indian paint rock. Tarissement
Venue de la Vallée de la mort en Californie, l’Indian paint rock mine est une roche sédimentaire, formée par l’accumulation de sédiments déposés sous l’action de l’eau ou de l’air. Ses couleurs, noire et ocre, présentent des motifs créés par des traces de fer et de manganèse, aspirées dans la roche à travers de minuscules fissures. Au polissage satiné plutôt que brillant, la pierre offre un aspect esthétique spectaculaire. La source de ce matériau s’est cependant tarie et elle n’est plus exploitable aujourd’hui.
Bubble Magnésite. Fragile
La Bubble magnésite est une pierre rarement utilisée en haute joaillerie. Comme son nom l’indique, elle présente des tâches sur sa surface sombre, comme autant de petites bulles orangées. À l’instar de sa cousine, la magnésite Wild Horse, blanche et parcourue de petites lignes brunes ou grises, sa coupe est rendue difficile par sa fragilité. Elle est peu utilisée en grande quantité, car elle doit d’abord être stabilisée — généralement à l’aide d’une résine. Elle apparaît cependant parfois dans les bijoux fantaisie, ou sous forme de cabochon.
Lépidolite. Friable
D’un point de vue minéralogique, la lépidolite est une pierre assez répandue, dont les gisements se trouvent au Brésil, à Madagascar, en Inde, aux États-Unis ou au Zimbabwe. À l’image de la Bubble magnésite, elle est fragile et doit être nécessairement stabilisée pour pouvoir être utilisée en bijouterie au vu de son caractère friable, feuilletant à la taille. Elle apparaît surtout dans des bijoux de lithothérapie, peu solide ou pérenne, et de piètre qualité. Dans l’industrie du luxe, elle est davantage utilisée en horlogerie pour produire des cadrans de montres par exemple, que pour sertir des bijoux.
Insectes. Objets naturels
Joaillier suisse né en 1930 et décédé en 2019, Gilbert Albert est l’artisan incontournable des matériaux atypiques et organiques. Ses bijoux se parent de squelettes d’oursin, de dents de requin ou de plumes, mais aussi de scarabées ou de coquillages. Sa technique de conservation pour les exosquelettes demeure toutefois inconnue et l’utilisation de tels éléments, reste difficile à développer et à appliquer en série pour les joailliers — au-delà de questionnements éthiques évidents. La haute joaillerie préfèrera davantage utiliser des matériaux classiques pour représenter la nature — insectes, fleurs ou papillons — dans des matières pérennes et plus facilement conservables.