Commissaire de l’exposition « Un âge d’or » de la Maison Chaumet en cours jusqu’au 5 novembre, Vanessa Cron est historienne du bijou. Elle a acquis son expertise par de longues années de recherches à la faveur de son amour pour la joaillerie, découverte au détour d’une rencontre.

Diotima Schuck
1er novembre 2023
Genève
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Entrée chez Christie’s en 2000 en tant que graphiste, Vanessa Cron découvre au sein de la maison de ventes le département de joaillerie et fait la rencontre de celui qui va devenir son mari, lui-même expert en bijoux. C’est pour elle la naissance d’une passion, développée depuis plus de vingt ans à travers la recherche, l’enseignement ou encore le commissariat d’exposition.

Une expertise acquise sur le terrain

De Paris, Vanessa Cron part s’installer à Genève en 2005. Sans formation en histoire du bijou, absente des cursus proposés à l’université ou en école, elle apprend à regarder l’objet par des moyens détournés. Car si les diplômes en gemmologie existent, ils permettent d’abord d’identifier les pierres, soit de pouvoir « faire la différence entre un bout de verre et un diamant, explique l’historienne. Pour en apprendre plus sur le bijou lui-même, le seul moyen, c’est d’étudier les catalogues de vente aux enchères, aller voir les pièces, les observer une par une. »

C’est ainsi auprès du marchand Thomas Faerber, par ailleurs co-fondateur de GemGenève, que Vanessa Cron s’initie à la joaillerie, plus particulièrement au bijou ancien : « J’ai eu la chance d’être mise au contact de pièces très importantes que je devais authentifier, avec l’aide d’experts, puis les décrire, raconte-t-elle. Ma formation s’est faite en regardant, en posant des questions, en étant curieuse et en voulant en savoir plus sur les pièces. »

De retour chez Christie’s en 2009, dans le département de joaillerie cette fois, Vanessa Cron se spécialise dans les bijoux des XIXe et XXe siècles tant à travers la lecture d’ouvrages que par l’approche précise de nombreuses créations. Là, elle se forge une expérience personnelle et une compréhension des périodes, des styles, des pays qui produisent les bijoux. Des connaissances acquises grâce à des recherches assidues, rigoureuses, qu’elle ne tarde pas à partager.

Le goût du partage

En 2012, l’historienne commence à enseigner l’histoire du bijou à la HEAD — la haute école d’art et de design de Genève — auprès de jeunes designers. Des cours qu’elle construit à partir de son savoir et de sa volonté de transmettre. Elle confie : « Les cours sont donnés par des indépendants, des historiens qui les conçoivent, ils dépendent donc des professeurs et du public auxquels ils sont destinés. J’ai fait mes cours par rapport à ce que je trouvais intéressant et je les ai adaptés à différentes configurations. »

De salles de classe en conférences, Vanessa Cron décide de se consacrer à l’enseignement. En décembre 2016, elle quitte Christie’s pour devenir indépendante et donner des masterclass à New York, Hong Kong, Shanghai ou Londres. Auprès de Christie’s Education, l’institut de la maison dédié à l’enseignement, elle s’adresse davantage à des professionnels du bijou, des collectionneurs et des passionnés.

C’est aussi à la demande de ses étudiants qu’elle finit par créer son Instagram, Jewels and the gang. « À la fin du semestre, mes élèves voulaient continuer à apprendre. L’un d’eux m’a conseillé d’ouvrir un compte, et tout a commencé comme cela. L’idée étant de poster des bijoux que j’aime ou que je trouve intéressants, en les associant à des anecdotes et parfois un petit côté éducatif », raconte-t-elle.

Du Palais de Tokyo à Chaumet

En 2020, Vanessa Cron est contactée pour travailler sur la toute première rétrospective de la Maison Fred au Palais de Tokyo, inaugurée en septembre 2022. Une exposition majeure, préparée avec Vincent Meylan, journaliste, historien et spécialiste de la haute joaillerie, pour laquelle elle est amenée à raconter l’histoire de la maison.

Contactée peu après par Chaumet, l’historienne amorce un travail sur la collection patrimoniale de la Maison grâce à ses compétences et son expertise : « Ayant travaillé avec des marchands et des collectionneurs, je peux éventuellement identifier des pièces, je sais où elles peuvent se trouver pour être rapatriées et intégrer la collection patrimoniale », confie-t-elle.

En parallèle, l’historienne redécouvre des pièces oubliées grâce aux archives de la Maison et propose le thème de l’exposition en cours, « Un âge d’or : 1965 - 1985 ». « Les choses sont venues assez naturellement avec cette envie de faire une exposition autour d’un thème qui n’avait pas encore été abordé, raconte Vanessa Cron. C’est intéressant parce qu’au sein même de la Maison, certaines personnes étaient étonnées des pièces retrouvées. »

De cette redécouverte portée par le regard de l’historienne émane une passion fondamentale pour l’objet, la volonté de continuer à découvrir et à apprendre.

L’amour du bijou

De son travail auprès d’un marchand d’art et d’une maison de vente, de son rôle d’archiviste ou d’historienne, de l’enseignement au commissariat d’exposition, les activités de Vanessa Cron sont multiples. Toutes cependant sont tournées vers le même objet : le bijou. Il est désormais loin le temps où, graphiste, elle ne s’intéressait pas à ces créations. Ces objets désormais lui « parlent », « racontent des histoires ». « Ce qui compte, c’est l’émotion qu’ils procurent. », confie la spécialiste.

Pour Vanessa Cron, qu’importe le bijou, son aspect spectaculaire s’efface derrière la valeur sentimentale, primordiale. « Les bijoux préférés de quelqu’un sont généralement des bijoux qui veulent dire quelque chose », explique l’historienne. De la même façon, sa préférence va à un bracelet en or d’Ernesto Pierret, dénué de pierres précieuses, un « bijou de sentiment » précise-t-elle.

Et si l’envie de savoir qui a fait l’objet, ce qui le compose, ce qui l’a inspiré survient vite, Vanessa Cron n’hésite pas à parler de « magie » pour parler d’une pièce exceptionnelle : un ensemble de choses, du dessin à la fabrication, en passant par les pierres utilisées. Et de confier : « Les experts ne sont pas toujours d’accord sur les bijoux, mais il y a une vraie convergence des opinions quand il s’agit de l’excellence de la haute joaillerie. »

Aujourd’hui, Vanessa Cron a quitté Genève et l’Europe pour les Caraïbes. D’un petit bateau, elle navigue entre les îles, poursuit son travail de recherche pour Chaumet et prévoit de nouveaux cours sur son temps libre. « Je ferai peut-être quelques conférences l’année prochaine à GemGenève. Mais je viens cette année pour voir tout le monde, il y a beaucoup de gens que j’aime beaucoup. Et puis, c’est l’occasion rêvée de découvrir de formidables bijoux. »

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