Du 26 novembre au 5 décembre, le vaisseau amiral du Syndicat National des Antiquaires (SNA) s’installe sous les voutes du Grand Palais Éphémère. Une renaissance.

Carine Claude
25 novembre 2021
19 août 2022
Paris
331

C’est une bonne nouvelle pour le monde des antiquaires. Et le marché de l’art en général. Désormais sobrement intitulée La Biennale, l’historique Biennale des antiquaires, devenue un temps Biennale de Paris, est portée depuis près de soixante ans par le vénérable Syndicat National des Antiquaires qui souffle cette année ses 120 bougies. Devenue annuelle en 2017, elle s’installe au Grand Palais Ephémère le temps des travaux de restauration du Grand Palais historique, son lieu d’ancrage habituel. Pour cette 32e édition, le SNA lui donne un nouvel élan en nommant un nouveau directeur artistique à sa tête. Co-fondateur de la FIAC, directeur associé d’Art Paris ou encore commissaire général de Révélations aux côtés d’Ateliers d’art de France, Henri Jobbé Duval vient de prendre les rênes de l’événement. « Le Syndicat National des Antiquaires a repris en main la Biennale et porte les responsabilités financières, explique-t-il. Les participants de cette 32e édition ont pris le parti de défendre un événement créé par un groupement professionnel qui fête ses 120 ans, un salon qui aura beaucoup souffert ces dernières années, à cause du contexte sanitaire et des tensions au sein même de la profession. Jusqu’au bout, le SNA se bat pour tous les acteurs (et pas uniquement ses adhérents) avec une Biennale, la seule au monde à être annuelle ! Mais beaucoup d’événements portent en leur nom une réalité qui n’est plus : Le Paris-Dakar ne passe plus à Dakar… »

Haut de gamme et haute facture

Avec ses 63 exposants, La Biennale 2021 est une édition resserrée. Un seul mot d’ordre : du haut de gamme. Privés de foires pendant la pandémie, de nombreux antiquaires avaient mis de côté leurs chefs-d’œuvre pour l’occasion. Organisé en quatre grands secteurs — les Beaux-Arts, les Antiquités, le Design et la Joaillerie — le salon rassemble les spécialités qui ont fait sa réputation : l’art ancien, l’art moderne, la sculpture, les arts décoratifs, le mobilier et les objets d’art en tête, mais aussi l’archéologie, les arts extraeuropéens, le design ou encore les livres anciens. 6.000 ans d’histoire à parcourir à pas feutrés.

L’art contemporain est à l’honneur, avec une dizaine de galeries spécialisée et un parcours de sculptures indoor, en écho au Sculpture Garden de la Biennale de Genève, invitée spéciale de cette édition 2021. Pensé comme une promenade au sein de la Biennale, le parcours indoor accueille une dizaine d’œuvres rythmant les allées et les placettes. Dès l’entrée, le visiteur fait face aux imposants Pigeons voyageurs (Die Taubenpost) de l’artiste Adel Abdessemed. En contrepoint, au milieu de l’allée qui ouvre sur la Tour Eiffel, trône l’imposant homme volant de l’artiste belge Panamarenko, Brazil, un homme-oiseau à mi-chemin entre Icare et Jules Verne. Elle appartient aux collections du prestigieux musée de Flandre, tout comme le bronze de Wim Delvoye, Möbus Dual Corpus Direct Current, autre étape de ce parcours de sculptures. Le programme se prolonge autour d’autres œuvres, dont David et Goliath de Christophe Charbonnel (Galerie Bayart), Les fragments du temps de Christian Lapie (Galerie RX), Cerchio, Untitled de Bruno Romeda (Galerie Dutko), le Baiser de Jivko et L’Homme au trophée de Raymond Martin (L’Univers du Bronze).

Si l’accent est particulièrement mis sur l’art contemporain cette année, la 32e édition signe le grand retour de la joaillerie et des maisons dites de « haute facture », fleurons des premiers temps de la Biennale des antiquaires. « Si un temps, la place accordée à la haute joaillerie a été trop importante au point peut-être de déstabiliser la lecture que l’on pouvait avoir de la Biennale, nous avons été attentifs à ce qu’un équilibre entre les différentes spécialités soit préservé, de l’archéologie à l’art du XXe siècle, de l’art islamique, à l’art africain…, déclare Henri Jobbé Duval. Les antiquaires et les galeries sont tous des passeurs de culture, aux côtés des grandes maisons de haute facture, c’est pourquoi il faut redonner à la Biennale toute sa dimension socioculturelle, sans oublier sa dimension économique, tout aussi importante. J’ai le sentiment que l’on ne met pas assez en avant les compétences que partagent les marchands qui défendent tous des valeurs liées au patrimoine, à la connaissance des œuvres et à leur transmission. » Un sentiment partagé par les exposants du secteur joaillerie, à l’instar de Jacques Sitbon, directeur de Larengregor : « La situation a changé, les grandes marques aussi. Il est logique que des manifestations comme celle-ci s’adaptent. Les grandes maisons de joaillerie françaises étaient présentes par le passé, elles ont une histoire commune avec l’art. Paris reste Paris et elle demeure attractive, malgré un contexte politique et économique difficile. Parfois, l’histoire est plus forte que le monde violent qui nous entoure. »

Nouveauté de cette édition : La Biennale a créé un service d’expertise destiné aux visiteurs. Au cœur du salon, un espace rassemblant experts indépendants délivre conseils aux amateurs, collectionneurs et exposants pour les accompagner jusqu’à l’achat final. La haute gastronomie, qui faisait partie intégrante des premières éditions de la foire des antiquaires et qui s’était de longue date éclipsée, s’installe chez Gustave. Le chef étoilé Nicolas Sale prend la tête de ce restaurant de La Biennale, tout aussi éphémère que le Grand Palais qui l’accueille. La direction artistique en a été confiée à Benoît Heintz. Sa ligne ? Donner « le sentiment d’être à la maison dans un cadre épuré, avec la Tour Eiffel comme joyau. » Il y a en effet pire comme décor.

Perspectives d’avenir

Ce n’est pas la première fois que la Biennale est contrainte de quitter les murs du Grand Palais historique. Déjà en 1994, elle s’était installée au Carrousel du Louvre, le Grand Palais étant fermé pour une longue période de travaux jusqu’en 2006. La nouvelle vague de réhabilitation sera plus courte, mais non moins pharaonique avec un budget total de 466 millions d’euros étalés sur trois ans. La restauration intégrale du bâtiment — la première depuis sa construction pour l’Exposition universelle de 1900 — entrainera une véritable métamorphose architecturale : réhabilitation des volumes et de la lumière, augmentation de la capacité d’accueil, création de deux nouveaux auditoriums, aménagement d’un toit en terrasse. Sa surface augmentera ainsi de 30 %, passant de 3.000 à 3.900 m2. Une aubaine pour La Biennale qui ne bénéficie « que » de 2.679 m2 de stands au Grand Palais Éphémère. Elle devrait ainsi retrouver son écrin historique à l’automne 2024, date à laquelle le Grand Palais éphémère sera démonté une fois les Jeux Olympiques achevés. Les organisateurs semblent déjà préparer le terrain. Ils annoncent qu’à terme, le nombre d’exposants s’établira autour de 130, soit deux fois plus que pour cette édition test.

L’accent est également mis sur l’internationalisation de l’événement. Si sa réputation n’est plus à faire, la crise de 2020 et le contexte sanitaire encore incertain ont pu freiner la présence des galeries internationales, en particulier américaines. Pour cette 32e édition, l’Autriche, la Belgique, l’Espagne, les États-Unis, Monaco, le Royaume-Uni et la Suisse sont représentés. « Nous avons opéré un repositionnement et réaffirmé les bases de la foire pour qu’elle puisse de nouveau rayonner internationalement tout en embrassant une approche transversale et actuelle de la création », confie Henri Jobbé Duval. De l’avis général, des antiquaires et de leurs représentants, La Biennale a une carte à jouer, en particulier dans un contexte post-Brexit qui risque de faire basculer le centre de gravité du marché de l’art européen. « Paris reste dans l’imaginaire la capitale mondiale. Elle a un héritage et il faut l’ancrer dans le marché, affirme Julien Flak, spécialiste d’art tribal. S’il existe un salon pendant lequel on peut briller, c’est La Biennale. C’est un défi, mais il faut en faire un écrin pour nos spécialités. C’est une belle page à réécrire aujourd’hui. Et puis, quand on fait un bel événement, le public répond au quart de tour, on l’a bien vu dans cette période compliquée. » Henri Jobbé Duval renchérit : « Il faut rappeler que Paris est une ville emblématique et que l’image de la France continue de rayonner à l’international dans les domaines de la culture et du luxe. La Biennale s’inscrit dans cet écosystème avec aujourd’hui un lieu prestigieux au cœur de la capitale. Un atout considérable qui participera de la grandeur de la Biennale. »

La figure tutélaire d’André Malraux plane encore sur cet événement dont les origines se fondent avec l’histoire du patrimoine français. Les musées ont d’ailleurs largement répondu à l’appel de cette 32e édition. L’histoire d’amour se poursuit.

La BiennaleHenri Jobbé DuvalAnisabelle Berès-MontanarifoireSNA