Miracles de la nature et joyaux vivants, les perles accompagnent l’humanité depuis la nuit des temps. GemGenève leur rend un bel hommage à travers une exposition inédite et des conférences associées.
C’est le plus ancien joyau du monde. Vénérées, entourées de mythes et de légendes, les perles sont nimbées de mystères. Le premier d’entre eux : la magie qui entoure leur naissance. Car tout nait d’un accident, lorsqu’un coquillage habille de nacre un minuscule intrus. La perle qui se forme couche après couche révèle une infinité de couleurs allant du blanc intense au noir profond, en passant par le gris, le bleuté, le violet ou le vert. « Les perles naturelles sont fascinantes, dit Ronny Totah, co-fondateur de GemGenève. Leur beauté unique et leur rareté ont captivé l’homme depuis des milliers d’années. Leur formation prend des décennies, ce qui en fait des trésors naturels inestimables. » Ce grand amateur et spécialiste des perles naturelles poursuit : « La perfection des perles naturelles réside dans leur imperfection même. Chaque perle est unique, avec sa propre taille, forme, couleur et lustre. Elles peuvent être rondes, ovales, baroques ou même en forme de larme. Leur couleur varie du blanc pur au noir profond, en passant par une large gamme de teintes comme le rose, le champagne, ou encore le bleu vert irisé, rappelant les ailes de libellule ».
L’autre mystère de la perle tient à sa récolte, lorsque les pêcheurs traditionnels vont la chercher dans les profondeurs, souvent au péril de leur vie. Elles ont fait la gloire et la fortune du Golfe persique. Du Japon à l’Amérique du Sud, de l’Australie à Ceylan, en passant par le canal du Mozambique, tous les océans du monde ont été, à un moment ou un autre, des sites de pêche incontournables.
Il était une fois…
La plus ancienne perle récoltée par l’homme, il y a plus de 8.500 ans, fut découverte au Mexique. « L’humanité entretient une relation toute particulière avec les perles », explique Laurent Cartier, expert en perles du Swiss Gemmological Institute (SSEF), un laboratoire réputé de Bâle. « C’est sans doute la matière précieuse la plus ancienne utilisée par l’homme. Certaines ont été datées de plus de 8.000 ans. À titre de comparaison, les diamants les plus anciens ont 3.000 ans, tout comme les rubis et les saphirs. » Le plus ancien bijou de perles, un collier de trois rangs comprenant 216 perles, fut découvert en Iran en 1901. Il appartenait à une princesse perse ayant vécu il y a plus de 2.500 ans. Dans la Chine ancienne, la perle est une offrande aux dieux et aux empereurs. Les Romains en font un signe de richesse et de rang social. Un premier âge d’or pour ce joyau de prédilection des élites. Le second explosera à la Renaissance. Brodée sur les costumes, portée en parure, en boucles d’oreilles et en couronnes, la perle est omniprésente chez les nobles. En France et en Europe, le XIXe siècle est l’ère de la démesure impériale et bourgeoise, avec des sautoirs de trois, cinq voire sept rangs, avant que les grandes maisons Chaumet, Cartier, ou encore Vever ne réinventent l’art du bijou de perles au début du XXe siècle.
« Il y a toujours eu un engouement incroyable pour les perles fines du fait de leur rareté, avec bien entendu des périodes plus ou moins marquées, précise l’expert Laurent Cartier. Récemment, par exemple, dans les années 2010-2018, les perles sauvages ont été particulièrement recherchées. Mais il faut bien comprendre que pour les perles fines, il n’y a quasi plus de nouvelles productions. Les joailliers travaillent sur des stocks anciens. La matière a une telle valeur que les gens en prennent soin comme des œuvres d’art. On compte peu de collectionneurs, peu de marchands, mais certains sont très spécialisés. C’est un savoir-faire unique et un marché de niche avec des prix extrêmes élevés. »
La science des perles
Car sa rareté a bien failli faire disparaitre la perle sauvage. Pour répondre à l’explosion de la demande, la surpêche était une pratique systématique à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. « Quelque part, la découverte de la perle de culture a sauvé cette industrie, car il aurait été impossible de continuer à extraire autant d’huitres perlières », explique Laurent Cartier. La naissance de la perle de culture est généralement associée au Japon à la fin du XIXᵉ siècle. En 1893, le japonais Kokichi Mikimoto crée ce spécimen en introduisant volontairement un parasite appelé nucléon à l’intérieur d’une coquille d’huître. Le mollusque, grâce à son mécanisme d’autodéfense inné, sécrète de la nacre et une perle se forme alors. C’est véritablement à partir de 1905 qu’est mis au point le procédé permettant d’obtenir les premières perles de culture parfaitement sphériques. « Mikimoto a révolutionné la culture de la perle et a été aussi un génie du marketing. Les perles fines étaient inaccessibles pour beaucoup et il a réussi à démocratiser ce produit », explique Laurent Cartier. Cette découverte marque les débuts de la perliculture. Une activité teintée de méfiance à ses débuts, les perles fines étant le Graal de la création. Mais les perles de culture permettront aux grands joaillers d’ouvrir de nouvelles voies et de nouvelles esthétiques aux bijoux en perles. « Aujourd’hui encore, la place de Kobe au Japon est l’une des plus importantes au monde. Toutes les plus belles perles de culture du monde y transitent. Le savoir-faire japonais est unique », constate Laurent Cartier.
Trésors d’ingéniosité
Avant même la mise au point des techniques de culture, les hommes ont toujours cherché à imiter les perles sauvages. Un phénomène aussi ancien que la passion qu’elles suscitent. Dès l’Antiquité, on cherche les moyens de copier ces trésors de la nature, si prisés et pourtant si difficiles à se procurer. « Les Romains faisaient déjà des imitations. Léonard de Vinci a même créé une recette de perles ! L’imitation a toujours existé », affirme Laurent Cartier. « Le vrai, le faux, la perception du luxe ou de la valeur existaient dès l’Antiquité. Il y a une part d’ingéniosité dans certaines imitations. On ne peut pas tout jeter et dire que c’est mauvais. Il faut que le consommateur final sache ce qu’il achète, mais il y a aussi une forme d’art là-dedans. L’imitation fait partie du patrimoine et de l’histoire des perles. C’est l’un des sujets qui sera discuté lors de la table ronde “Pearls of Truth”. »
Vigies des océans
Un autre point essentiel abordé lors de la seconde table ronde « Les perles : scène et enjeux contemporains » sera la question de la durabilité. Les huitres perlières, comme les autres mollusques, sont extrêmement sensibles aux changements climatiques. Le dioxyde de carbone de l’atmosphère est absorbé par les océans qui deviennent de plus en plus acides. Résultat : les coquillages ont de plus en plus de mal à former leur coquille. « Sur le long terme, ce phénomène risque d’avoir un impact sur la production, explique Laurent Cartier. Un autre aspect majeur est que les huitres sont sensibles aux fluctuations de températures et aux pollutions, aux algues, etc. Elles sont de très bons baromètres de la santé de nos océans et des cours d’eau, notamment en Chine qui cultive les perles en eau douce. Pour continuer à produire des perles de culture de qualité, les perliculteurs doivent le prendre en compte. »
Vedettes
Fines ou de culture, les perles continuent d’attirent les stars et les foules. En 2014, l’exposition « Pearls » du Victoria and Albert Museum de Londres avait connu un franc succès. Parmi les 200 bijoux exposés figuraient une perle blanche portée par Charles I, des tiares de l’aristocratie européenne, le collier en perles d’Akoya offert par le joueur de baseball Joe DiMaggio à son épouse Marilyn Monroe ou encore des boucles d’oreilles d’Elizabeth Taylor. Cette dernière, grande amoureuse des perles, possédait d’ailleurs la Peregrina, une perle légendaire tant par sa beauté que par son histoire. Elle aurait été découverte en 1579 par un esclave noir dans le golfe de Panama, qui aurait acheté sa liberté grâce à elle. Vendue à un marchand portugais, elle est ensuite acquise par Philippe II d’Espagne. Elle se retrouve au cou de son épouse, la reine Mary Tudor, et de nombreuses reines après elle. Napoléon Ier s’en empare. Napoléon III la vend au duc d’Abercorn. Puis elle disparait… Richard Burton l’emporte pour 37.000 $ chez Sotheby’s en 1969 et l’offre à sa femme, Liz Taylor. Lorsqu’elle sera vendue une nouvelle fois aux enchères à la mort de l’actrice en 2011, elle sera adjugée pour la somme astronomique de 11,84 M$ chez Christie’s à New York à un enchérisseur anonyme. Peut-être réapparaitra-t-elle un jour… La légende continue.
C’est pour célébrer les perles et les légendes qui les entourent que GemGenève a décidé pour sa 7e édition de rendre hommage à son tour à ces trésors de la nature avec « The Pearl Odyssey » (voir encadré), une exposition immersive rassemblant plus d’une trentaine de bijoux et de pièces d’exception provenant de la maison Chaumet, du collectif Flee Project et d’exposants du salon, mais aussi de prêts de la Collection Hussain Al Fardan, une collection unique au monde de perles fines — et sans doute la plus belle - conservée dans un musée privé à Doha. « Nous avons pris la décision de leur rendre hommage en leur consacrant une exposition-découverte pour révéler aux visiteurs leur beauté cachée », ajoute Ronny Totah. Une belle déclaration d’amour pour ce joyau millénaire.