Les sciences du patrimoine doivent elles aussi faire face aux nouveaux enjeux écologiques. Diffusion du savoir, préservation des œuvres, équipements technologiques, consommation énergétique. Quelles sont les options du monde scientifique ? Quelques pistes de réflexions.

Antonio Mirabile
1er novembre 2023
Genève
352

Les sciences du patrimoine constituent un domaine de recherche interdisciplinaire de l’étude scientifique du patrimoine culturel et naturel. S’appuyant sur diverses disciplines des sciences humaines, des sciences, du numérique et de l’ingénierie, « sciences du patrimoine » est un terme générique qui englobe toutes les formes de recherche scientifique sur les œuvres humaines, et les œuvres combinées de la nature et des humains, qui ont une valeur pour les personnes. Elles visent à améliorer la compréhension, l’entretien, l’utilisation durable et la gestion du patrimoine matériel et immatériel. Le secteur des sciences du patrimoine s’est rapidement développé au cours des dernières années. Le nombre de publications scientifiques produites chaque année a considérablement augmenté ses 20 dernières années, et plus d’un tiers sont le fruit de collaborations internationales. Les scientifiques du patrimoine travaillent majoritairement dans des institutions patrimoniales, académiques ou de recherche, leurs travaux vont de la recherche fondamentale à la plus appliquée et visent aussi bien à améliorer la compréhension du patrimoine culturel qu’à élaborer de nouvelles manières d’en assurer la conservation, la connaissance, la valorisation et la transmission, tout en s’inscrivant, à partir de décembre 2019 (date de lancement du pacte vert pour l’Europe) dans une perspective d’écoresponsabilité. Ils consomment comme tout un chacun de l’énergie et des ressources, ils génèrent une certaine pollution et des déchets. Mais quel est l’impact environnemental des leurs travaux et comment peuvent-ils agir pour devenir écoresponsables ?

Science ouverte

La science ouverte est un vaste sujet recouvrant des problématiques diverses. En juillet 2018, le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation a publié le Plan national pour « des résultats de la recherche scientifique ouverts à tous, sans entraves, sans délai, sans paiement ». Ce principe d’ouverture s’impose progressivement à toutes les institutions. Cela permet à l’auteur d’un article scientifique de le publier en libre accès, afin que l’intégralité de son texte soit gratuitement accessible à tout lecteur. Les APC (« Article Processing Charges » ou frais de publication) sont pris en charge financièrement par l’auteur ou, plus souvent, par son institution de rattachement. Le modèle économique est donc celui de l’« auteur-payeur ». De fait, la mise en place de dépôts de textes en libre accès a fait exploser le nombre de recherches sur internet. Les internautes en sont rarement conscients, mais leurs pérégrinations dans le monde virtuel ont un coût énergétique bien réel. Selon Alex Wissner-Gross, physicien à l’Université de Harvard, deux requêtes sur Google consommeraient autant de carbone qu’une tasse de thé bien chaud. Selon les travaux de ce scientifique, deux requêtes sur Google généreraient 14 grammes d’émission de carbone, soit quasiment l’empreinte d’une bouilloire électrique (15 g).

Invasif, non invasif, fixe ou portable

Les œuvres qui nous sont parvenues sont précieuses et doivent être étudiées avec un maximum de précaution. C’est pour cette raison que l’utilisation des méthodes chimiques nécessitant des prélèvements devient de plus en plus rare : retirer de la matière, même en très petite quantité, n’est plus acceptable sur des objets patrimoniaux. De plus, l’échantillon n’est pas toujours représentatif de l’œuvre complète, car il est souvent localisé sur les bords ou dans des zones déjà endommagées, autour de lacunes. C’est ainsi que de nombreuses nouvelles méthodes d’analyse non invasives ont été développées depuis une vingtaine d’années. Mais ce sont surtout les nouveaux instruments portables mis au point pour l’analyse in situ qui présentent le plus d’avantages pour les recherches sur les productions artistiques. Les instrumentations d’analyses fixes requièrent le déplacement de l’œuvre d’art, c’est le musée qui va au laboratoire ! Et au-delà du bilan carbone lié à la fabrication d’une caisse utilisée une seule fois avec tous les systèmes de calages en matières plastiques à l’intérieur et d’un transport aérien ou autre, les objets patrimoniaux sont soumis, durant leur transport, à des conditions qui favorisent divers types de détérioration et de dommages. Les dangers les plus communs comprennent les effets des manipulations, les chocs, les vibrations et les variations de l’humidité relative et de température. Il ne faut pas oublier que certaines détériorations se produisent graduellement et qu’elles ne sont pas nécessairement décelables immédiatement.

Instrumentation et obsolescence

Le terme « obsolescence », venant du latin obsolescere qui signifie perdre de sa valeur, était employé par les Romains pour désigner un objet qui ne serait pas utile longtemps. L’obsolescence est habituellement définie comme un ensemble de mécanismes qui incite le consommateur à renouveler fréquemment son acte d’achat. L’obsolescence planifiée, caractérisée par l’intention des fabricants de raccourcir la durée de vie des produits, est l’une des formes d’obsolescence les plus controversées à cause de la manipulation dont serait victime le consommateur pour satisfaire les objectifs de vente croissante des entreprises. Quelle qu’en soit la forme, l’obsolescence est problématique dans une optique de développement durable. Elle est à l’origine de l’accélération des cycles d’acquisition et de la mise au rebut des biens, dont la principale conséquence est une croissance fulgurante des déchets. Le phénomène d’obsolescence s’illustre particulièrement bien dans le secteur électrique et électronique où l’usager a tendance à changer fréquemment d’appareil pour suivre le rythme rapide des innovations. Chaque année, ce sont 20 à 50 millions de tonnes de déchets d’équipements électriques et électroniques. Il faut savoir que dans tous les secteurs et tous les fabricants d’instrumentations scientifiques, les usines ne fournissent des pièces détachées que pendant environ 10 ans après la dernière commercialisation.

Cependant, il faut savoir que ces instruments à la fine pointe de la technologie tels que spectromètres de masse ou microscopes à balayage électronique demandent beaucoup d’efforts à acquérir et sont souvent très coûteux (des centaines de milliers voire plusieurs millions d’euros). Les demandes de subventions qui permettent d’acquérir ces instruments sont souvent longues ainsi, le personnel de soutien déploie beaucoup d’efforts pour les maintenir opérationnels le plus longtemps possible. Les petits instruments courant comme les pH-mètres ou les balances qui ont une durée de vie plus courte sont recyclés avec les petits équipements électroniques. Mais tout comme une bonne voiture bien entretenue, les instruments scientifiques peuvent être utiles environ 10 ans. Dans certains cas, l’instrument n’est tout simplement plus assez performant pour les besoins de la recherche.

Dans les domaines scientifiques qui évoluent rapidement, les équipements passent d’une phase de développement à une étape d’exploitation routinisée. Le rythme d’obsolescence des connaissances est élevé et l’évolution des instrumentations vers une exploitation commerciale rapide. Il est alors nécessaire de penser l’organisation des laboratoires de recherche de manière réactive, flexible et en réseau.

Imagerie scientifique

La dernière catégorie des méthodes usuelles d’analyse concerne l’imagerie appliquée aux œuvres. Celle-ci peut être utilisée soit pour conserver un enregistrement de l’état de l’œuvre à un moment donné, soit dans un cadre d’investigation. Quand on parle d’enregistrement, la photographie vient à l’esprit. Cependant, des techniques d’imagerie bidimensionnelle (2D) plein-champ autre que la photographie existent. Pour rester dans un domaine proche du rayonnement visible, les photographies UV permettent d’imager les zones restaurées, alors que celles en infrarouge donnent une distinction différente entre les pigments de couleur proche. La réflectographie infrarouge va permettre de visualiser les dessins sous-jacents réalisés à base de carbone. En s’éloignant un peu plus en fréquence, les rayons X permettent la radiographie de l’objet en transmission et rendent compte des différences de densité de celui-ci. Ces techniques d’imagerie peuvent être modifiées pour restituer la structure tridimensionnelle (3D) de l’objet, comme avec la tomographie par rayons X. Notons aussi qu’un certain nombre des techniques présentées peuvent aussi être utilisées pour imager les objets, avec une réalisation de l’image finale en mode « point par point ». La complexité des matériaux du patrimoine est telle que le recours simultané aux différentes techniques précitées est très souvent nécessaire pour corréler les résultats et extraire les informations recherchées. De même, le développement de caméras multispectrales est encouragé afin d’analyser les œuvres simultanément sur une grande partie du spectre des ondes électromagnétiques (UV, visible et infrarouge notamment). Mais, que restera-t-il de ces images nées numériques dans vingt ans ? Quelle fraction de ce travail sera-t-elle transmise dans le futur ? Probablement assez peu. Comme l’a récemment montré un rapport commun de l’Académie des sciences et de technologies, le vieillissement spontané des supports entraîne pour la conservation de l’information numérique des migrations constantes (Copie d’un support vieux vers un support neuf). L’opération est coûteuse du fait des manipulations et des équipements nécessaires ; stocker des informations sur des disques durs qui tournent jour et nuit entraîne un impact environnemental réel (consommation électrique et climatisation).

Consommation d’énergie

La crise énergétique, qui touche le monde actuellement et qui a des impacts très forts sur l’ensemble de la société (particuliers, entreprises, recherche, administration…), n’épargne pas SOLEIL, qui a dû renouveler en 2022 son contrat pour la fourniture d’électricité en 2023. SOLEIL, un accélérateur de particules (des électrons) produit le rayonnement synchrotron, une lumière extrêmement brillante qui permet d’explorer la matière inerte ou vivante. En concertation avec ses tutelles CEA (Commissariat à l’Énergie Atomique) et CNRS (Centre National de la Recherche Scientifique), il a donc dû prendre la très difficile décision de renoncer à faire fonctionner les accélérateurs et les 29 lignes de lumière pendant la période dite du Run 1, soit du 18 janvier au 27 février 2023. Ce choix s’inscrit par ailleurs dans la nécessité de prendre part à l’effort national de réduction de la consommation électrique pendant la période hivernale, qui pourrait s’avérer critique pour la fourniture d’électricité.

Recherche scientifique et écoresponsabilité

La recherche scientifique a toujours fait l’objet d’orientations stratégiques, soumise qu’elle est aux politiques et subventions des différents paliers de gouvernement et à l’évolution de la société. Depuis quelques années, certains milieux scientifiques militent pour que la recherche contribue davantage à la mise en place d’une société véritablement soutenable. Cependant, un grand nombre de chercheurs travaillent sur des sujets qui, pensent-ils, n’ont aucun lien avec les thématiques de l’écoresponsabilité alors que cela nous concerne tous. Par leurs connaissances, les scientifiques ont une position privilégiée pour mettre en place des solutions soutenables et efficaces. Ils ont une capacité exceptionnelle à se renouveler dans le cadre de leurs travaux de recherche. Nul doute qu’ils seront capables d’en intégrer les enjeux. La mutation vers une société viable nécessite ainsi un renouvellement des manières de voir la recherche scientifique, une vision plus globalisante, qui inclut des solutions centrées sur le long terme, des solutions interconnectées et transdisciplinaires.

GemGenève
Diotima Schuck
1er novembre 2023
Genève
352

Cette conversation organisée par GemGenève et l’historienne Amanda Triossi met à l’honneur les bijoux des années 1940… et les marchands qui les ont si soigneusement sélectionnés !

Les exposants auront l’opportunité de présenter au public leur bijou préféré et les histoires qui les ont amenés à sélectionner telle ou telle pièce. La discussion sera animée par l’historienne ainsi que par Dominik Biehler de la Maison Ernst Faerber, Lindsey Miller de Provockative Gems ou encore Celeste Wu de la section des Talents émergents.

L’événement se propose comme un moment de partage et l’occasion d’échanger autour d’une passion commune, la joaillerie et les pierres. Car pour l’historienne, « derrière chaque bijou et chaque pierre présentés au salon, se trouve une personne exceptionnelle ».

GemGenèveAnnées 40

L’historienne du bijou et spécialiste de la Maison Bulgari, Amanda Triossi observe un revival pour le style des années 1940. Retour sur l’esthétique de cette période qui a mis à l’honneur or et coupes audacieuses.

Diotima Schuck
1er novembre 2023
Genève
352

La joaillerie des années 1920, très colorée, se pare de diamants montés sur platine ; les années 1930 privilégient les lignes graphiques, géométriques. Annonçant un tournant, les bijoux se font peu à peu plus lourds et extrêmement précieux, sertis de nombreuses pierres. Le style Art déco s’efface peu à peu à la fin des années 1930 et laisse place à la période rétro (1935-1950).

“Tous les rubis utilisés dans les années 1930 viennent de Birmanie. Non chauffés, ce sont des pierres précieuses de première qualité.” Amanda Triossi

Avec la Seconde Guerre mondiale cependant, les routes commerciales sont fermées entre l’Occident et les pays extracteurs de gemmes. Les diamants d’Afrique du Sud et les pierres précieuses d’Asie ne parviennent plus dans les ateliers des bijoutiers. La haute joaillerie est forcée de se renouveler pour continuer à créer et proposer des objets de haute qualité.

Du platine à l’or

Métal noble de couleur blanche, le platine offre une résistance à l’abrasion et au vieillissement, des caractéristiques qui en font un matériau privilégié par la bijouterie d’avant-guerre. Réquisitionné par l’industrie de l’armement, il devient rare dans la joaillerie qui doit pallier ce manque avec de nouveaux métaux et alliages. L’usage du palladium, d’habitude très rare, se fait plus fréquent durant ces années-là. De couleur argentée, il est toutefois beaucoup plus léger et moins résistant que le platine.

Encore disponible, l’or présente des atouts majeurs à la fabrication de bijoux solides et de qualité, et devient rapidement le métal le plus utilisé dans les années 1940. Devant être rendu suffisamment dur, il est allié avec d’autres métaux, ce qui permet d’en contrôler l’utilisation et d’en préserver les réserves. « Sa couleur peut en être altérée, explique Amanda Triossi. L’or rose contient plus de cuivre, l’or vert plus d’argent. L’or jaune est un équilibre des deux et d’autres métaux comme le zinc ou le nickel, en fonction des périodes. » À travers ces alliages, les bijoux présentent ainsi des teintes changeantes que les artisans maîtrisent pour obtenir le rendu souhaité.

Mais ce changement de métal opéré par l’industrie de la joaillerie n’est, pour Amanda Triossi, pas uniquement dû à la guerre : « Je pense qu’il y a dans l’histoire du bijou une sorte de mouvement de balancier : on passe de métal blanc en métal jaune, puis le blanc revient. Et la guerre a contribué à ce changement, mais c’est aussi parce que l’or redevenait peu à peu à la mode. »

“Il est évident que les mouvements ne commencent et ne finissent pas à une date précise. Ils apparaissent graduellement : il y a un pic, puis une fin progressive et une nouvelle mode apparaît peu à peu. Ainsi, on commence déjà à voir des maisons utiliser de l’or dès les années 1930.” Amanda Triossi

Une nouvelle esthétique

Avant la guerre, les pierres de couleur sont associées aux diamants. Puis, l’assemblage de pierres de couleur entre elles devient la norme. Les teintes sont vives, les formes, volumineuses. Les bagues se bombent, les bracelets s’élargissent et prennent de l’épaisseur. Les dessins géométriques en vogue dans les années 1930 sont remplacés par un style plus naturaliste, au design « épuré » à l’aspect massif. Les surfaces des bijoux en or sont planes : on n’y trouve peu d’ornement gravé ou de ciselure.

Avec la raréfaction des ressources en pierres précieuses et l’impossibilité pour les maisons d’en importer, les artisans-joailliers se tournent vers d’autres matières premières. On trouve alors principalement des pierres synthétiques ou des imitations — des fausses perles par exemple. Les pierres ornementales — ou « semi-précieuses » — font leur grand retour : la citrine, l’améthyste, l’aigue-marine, la topaze…

« Les bijoutiers utilisent de larges pierres qui compensent en quelque sorte par leur taille leur manque de valeur », note l’historienne du bijou. Quand ils ont l’occasion de travailler avec des pierres précieuses, celles-ci sont généralement de petite taille et distribuées sur le bijou en pavé ou en serti mystérieux — une technique brevetée par la Maison Van Cleef & Arpels en 1933.

Aussi, l’utilisation de vieilles pierres taillées est typique des années 1940 : « Les gens voulaient avoir des bijoux à la mode, modernes. Ils amenaient leurs vieilles pièces pour les faire fondre, fournissaient eux-mêmes les pierres précieuses et le métal. Il n’est donc pas rare de trouver des diamants taillés à l’ancienne, dont la forme aurait été sertie dans un bijou du XIXe siècle, et de les retrouver dans un bijou moderne », confie l’historienne.

Les maisons en temps de guerre

En dépit de la guerre, les maisons de haute joaillerie poursuivent leur travail. Leur créativité n’est pas en reste et bientôt apparaissent des bijoux inspirés par les événements de l’époque. Le bracelet tank, pièce incontournable de la période rétro, rappelle ainsi les chars d’assaut en reprenant les motifs de leurs roues.

Les bijoux deviennent aussi, parfois, des symboles de résistance. En 1942, Jeanne Toussaint, directrice artistique de la Maison Cartier entre 1933 et 1970, dessine une broche représentant un oiseau en cage, en écho à l’occupation allemande en France. La maison répondra à la libération par un nouvel oiseau, cette fois-ci libéré, la porte de la cage grande ouverte. Dans le même élan, Mauboussin célèbre la fin de la guerre en 1945 par la création d’un clip de corsage en or jaune et platine stylisé, représentant une jeep américaine et un drapeau français serti de saphirs, de diamants et de rubis.

« En temps de guerre, on aurait tendance à penser qu’il y a moins de bijoux alors qu’ils peuvent être un moyen, comme en période de forte inflation, de placer son argent. », note Amanda Triossi. Par ailleurs, certaines familles s’enrichissent grâce à la guerre et constituent des collections de bijoux exceptionnelles. Les maisons peuvent ainsi continuer à proposer des objets de très grande qualité, précieux, « toujours incroyablement fins », précise l’historienne.

La fin de la guerre annonce le retour des pierres qui recommencent à être acheminées et utilisées dès 1946… avec de nouvelles évolutions stylistiques et des possibilités renouvelées pour les créateurs.

Effet de pendule

Lorsque Amanda Triossi entre dans le monde de la joaillerie à la fin des années 1980, elle y perçoit un goût pour la mode rétro : « À ce moment-là, les bijoux des années 1940 étaient très en vogue. Tout le monde voulait en acheter parce qu’il était tendance de porter de l’or jaune. Dans les années 1980, tout devait être volumineux et audacieux et d’une certaine manière, les bijoux rétro s’inscrivent dans cet esprit puisqu’ils sont eux-mêmes en or jaune et assez substantiels. »

La décennie suivante, comme dans ce mouvement de pendule décrit par l’historienne, la mode repasse à l’argenté, on porte du blanc et des diamants. En conséquence, sur le marché secondaire, les maisons de vente proposent davantage de bijoux argentés.

Aujourd’hui, Amanda Triossi observe sur le marché un engouement pour les bijoux des années 1940. « Il y a certainement beaucoup plus d’intérêt pour ces pièces qu’il n’y en avait il y a dix ou vingt ans. Elles sont de plus en plus présentes aujourd’hui. » À ce retour progressif, les maisons semblent répondre, à l’instar des coupes de la Maison allemande Hemmerle ou de Bulgari et de leurs designs épurés et sculpturaux.

Par leur design singulier et leur couleur or, les années 1940 incarnent véritablement cet esprit « vintage » vers laquelle joailliers et acheteurs se tournent aujourd’hui. Redéfinissant la mode contemporaine, ils sont mis au goût du jour par les créateurs d’aujourd’hui. Et GemGenève est aussi l’occasion pour les marchands du marché secondaire de proposer leurs plus belles pièces d’époque, chinées, retrouvées et proposées spécialement pour les visiteurs du salon.

GemGenèveAnnées 40
Carine Claude
1er novembre 2023
Genève
352

Le péridot est l’une des autres rares pierres précieuses qui présentent une couleur verte. Parfois appelé olivine, il possède une teinte caractéristique due à la présence de fer, un vert plus jaune que celui de l’émeraude, allant du vert clair au vert olive. Connu depuis l’Antiquité, il pare notamment des bijoux grecs. Ses principaux gisements sont en Arizona aux États-Unis, en Égypte, en Birmanie, au Pakistan et au Brésil, mais aussi en Norvège ou en Russie. Mais c’est celui de Zabarğad ou île St John dans la mer Rouge, sans doute exploité dès l’époque pharaonique, qui est le plus réputé. On a même retrouvé une intaille en péridot finement gravée du portrait de Cléopâtre II aujourd’hui conservée au musée Baltimore. Décidément, le vert et les pharaons…

GemGenèveémeraude

On dit qu’elle est vingt fois plus rare que le diamant. Fascinante, hypnotique, l’émeraude a fait tourner bien des têtes à travers les siècles — et pas seulement les têtes couronnées.

Carine Claude
1er novembre 2023
Genève
352

C’est la pierre de tous les mystères. Ce béryl vert à la symbolique complexe, alchimique, est associé à la vie et à la sagesse dans la plupart des civilisations qui l’ont exploité — c’est-à-dire quasiment toutes. Vertus prophylactiques, pouvoir de protection, naissance et renaissance… De l’Égypte antique à l’Amérique précolombienne, de l’Inde à l’Empire romain, des trônes de la vieille Europe aux plateaux d’Hollywood, personne n’échappe à son étrange pouvoir d’attraction. Sa couleur verte est due à d’infimes quantités de chrome et parfois de vanadium. L’émeraude est rare, car sa formation nécessite des conditions géochimiques complexes dans plusieurs couches de l’écorce terrestre. Au Brésil, certaines se seraient même formées il y a deux milliards d’années…

Égypte, Afghanistan, Inde du Sud. Difficile de retracer avec précisions l’origine des premières émeraudes antiques, issues de celles que l’on appelle « les vieilles mines ». En 2000, une équipe de l’IRD-CNRS de Nancy a utilisé une sonde ionique, une méthode non destructive, pour analyser les sources de certaines gemmes anciennes et croiser leurs données avec des textes anciens et des études archéologiques. Ce qui est certain, c’est que les émeraudes étaient des voyageuses, et ce dès la plus haute Antiquité. En Occident, les premiers objets ornés d’émeraudes apparaissent au IVe siècle avant notre ère, sous le règne d’Alexandre le Grand, dont l’Empire s’étend jusqu’à la Bactriane d’où proviennent peut-être certaines de plus anciennes émeraudes. Il faut dire que dans l’Égypte pharaonique, la symbolique du vert, associée à la croissance de la végétation et par extension, à la renaissance des défunts et à la vie éternelle, est omniprésente dans les rites et objets funéraires. D’où l’omniprésence des émeraudes. Ptolémée, le général d’Alexandre, fondateur de la dynastie égyptienne éponyme, développera d’ailleurs l’exploitation des mines d’émeraudes du côté de la mer Rouge. Les gisements du Djebel Zabarah et du Wadi Sikait, improprement appelés mines du roi Salomon, puis mines de Cléopâtre seront toujours exploités après la conquête arabe jusqu’au XIIIe siècle, avant de tomber dans l’oubli et d’être repris au XIXe siècle sous Mehmet Ali et ensuite par les Britanniques. Quoi qu’il en soit, c’est sous l’Empire romain que l’émeraude connait son premier âge d’or, attribut de Vesta et de Vénus, symbole de l’amour, comme en témoignent les nombreux bijoux parés d’émeraudes découverts à Pompéi et Herculanum. Hérodote et Pline l’Ancien sont intarissables sur ses qualités. Nouvellement conquise, l’Égypte fournit aux Romains des émeraudes en quantité et ils affinent leurs techniques de polissage — la taille n’interviendra que plus tard — qui seront utilisées par la suite sous l’Empire byzantin. Le gisement d’Habachtal en Autriche, peut-être exploité dès le Moyen Âge — voire avant par les Celtes —, sera l’un des principaux viviers d’émeraudes en Europe. Du côté de l’Inde, l’art moghol préfigure la folie des maharadjas pour les précieuses gemmes vertes, parfois finement gravées de versets du Coran.

Pierre de conquête

Point de bascule de l’Histoire, la découverte du Nouveau Monde à la fin du XVe siècle a également révolutionné l’exploitation de l’émeraude. Prisées par l’ensemble des civilisations précolombiennes — Incas, Toltèques, Mayas, Aztèques — les émeraudes furent largement pillées par les Conquistadors : l’Espagnol Gonzalo Jiminez de Quesada en aurait rapporté́ près de 7.000 de son expédition en Colombie en 1537 lorsqu’il fonde Bogota. « Isabella », l’une des plus grandes émeraudes à facettes du monde dont le poids est estimé à 964 carats, illustre la magnificence des émeraudes précolombiennes qui ont hypnotisé les Espagnols. Propriété d’Hernán Cortés, qui l’aurait reçue en cadeau du dernier empereur aztèque Moctezuma avant que leurs relations ne dégénèrent, l’émeraude a été retrouvée en 1993 dans l’épave d’un navire coulé en 1757. Englouti à ses côtés, un trésor de 75.000 carats d’émeraudes brutes et taillées d’origine aztèque et maya. Deux décennies après la Conquête, l’exploitation intensive des mines d’Amérique centrale et latine conduit à un afflux massif des pierres vers les trésors royaux. Une véritable folie de l’émeraude qui s’invite partout dans l’orfèvrerie et la joaillerie de la Renaissance en Espagne et au Portugal.

Trésors de Colombie

Aujourd’hui encore, les émeraudes colombiennes, d’une couleur verte exceptionnelle, pour ainsi dire limpides avec parfois des inclusions caractéristiques — les « jardins » — sont réputées être les plus belles. On leur donne souvent le nom de la mine d’où elles proviennent : Muzo, Chivor ou Coscues. Des gisements colossaux exploités déjà au temps des Conquistadors. Elles produiraient aujourd’hui plus de la moitié des émeraudes du monde. Car, phénomène rare dans la production de pierres, la Colombie produit à la fois de la quantité et de la top qualité. La Zambie est un autre important producteur d’émeraudes de haute qualité. Les émeraudes zambiennes ont généralement une couleur vert vif et sont appréciées pour leur transparence et leur brillance. Les émeraudes brésiliennes, en particulier celles du Minas Gerais et de Bahia, sont connues pour leur variété de nuances de vert, allant du vert émeraude classique au vert bleuâtre. L’Afghanistan, l’Oural et l’Éthiopie plus récemment produisent également des émeraudes de belle qualité. « Ce qui fait la qualité d’une émeraude repose sur un ensemble de critères, mais la couleur est cruciale, explique la gemmologue Marie Chabrol, cofondatrice de l’Association Gemmologie et Francophonie. De mon point de vue, il faut qu’elle soit chaude, soit un vert teinté d’une pointe de jaune. Mais on peut les préférer plus froides, avec une pointe de bleu. Il faut qu’elle soit la plus propre possible, mais j’aime qu’on y trouve quelques inclusions. Une belle émeraude, c’est une taille excellente, une couleur chaude et homogène, un minimum d’inclusions qui ne gêne pas l’appréciation de la pierre. Et enfin, il faut qu’elle soit naturelle. »

« La Colombie reste pourvoyeuse de magnifiques pierres. Mais il existe des provenances anciennes qui ont produit des pierres sublimes. Personnellement, j’ai un faible pour les émeraudes de Sandawana, Zimbabwe… » Marie Chabrol

En ce qui concerne la taille, le centre le plus important est à Jaipur en Inde où il se dit que plus de 100.000 lapidaires d’émeraudes seraient à l’œuvre ! Comme au Brésil, la taille y est pratiquée en recherchant le minimum de pertes, tandis que les tailles colombiennes et européennes favorisent davantage la qualité que le rendement. À noter qu’Israël possède également un centre réputé à Ramat Gan.

Légendes

Au même titre que les grands diamants, certaines émeraudes sont restées dans l’Histoire. Particulièrement prisées par les familles royales européennes, les gemmes vertes ont très tôt rejoint les trésors nationaux et dynastiques. Souvent, leur histoire est jonchée de légendes autant que de disparitions et de réapparitions fortuites. L’une des plus anciennes, l’Émeraude de Saint-Louis fait partie des Joyaux de la couronne de France et est désormais conservée au Museum d’Histoire naturelle de Paris. Extraite des mines du Habachtal, l’émeraude de 51,6 carats ornait la fleur de lis centrale de la couronne de Saint-Louis qui fut détruite pendant la Révolution française. L’émeraude avait alors été sauvegardée par Louis Daubenton en 1796, directeur du Muséum. Pour sa part, l’Émeraude de la Couronne britannique, connue sous le nom de « Colombian No. 3 » taillée à 75,47 carats serait précolombienne. L’une des plus célèbres, l’émeraude « Duke of Devonshire », a été offerte en cadeau au duc en 1831 par Pierre 1er, qui était alors empereur du Brésil. Une impressionnante pierre de 1,384 carat provenant de Muzo en Colombie.

« L’émeraude est prisée depuis longtemps et n’a jamais vraiment quitté le cœur des joailliers, précise Marie Chabrol. Le XIXe siècle l’a mise en avant de manière spectaculaire sur de nombreux bijoux. On peut ainsi citer la Tiara de Marie-Thérèse, Duchesse d’Angoulême, conservée au Louvre. Ou celle qui a appartenu à la Reine Victoria et qui fut fabriquée en 1845. Le XXe siècle a également eu recours aux émeraudes sur les bijoux des maharadjas qui ont alimenté de commandes quasi légendaires les grandes maisons de joaillerie française. Impossible d’oublier les pièces serties d’émeraudes pour le Maharadja de Patiala… »

Composé de 40 émeraudes et 1.031 diamants, le diadème de la duchesse d’Angoulême est en effet un chef-d’œuvre de la joaillerie de la Restauration réalisé en 1819 par Christophe-Frédéric Bapst et Jacques-Evrard Bapst. Il enrichit la collection des bijoux de la Couronne dispersée en 1887 et depuis patiemment rassemblée par le département des Objets d’art du Musée du Louvre — ce diadème a été racheté en 2002 lors d’une vente publique organisée par les comtes de Durham. Fille de Louis XVI et nièce de Louis XVIII, la duchesse a reçu ce diadème et sa parure de son oncle. Sous le Second Empire, le diadème fut également porté par l’Impératrice Eugénie qui appréciait particulièrement les émeraudes. En 1988, le Musée du Louvre avait d’ailleurs acquis la couronne de la même impératrice Eugénie composée de 2.490 diamants et 56 émeraudes montés sur or, réalisée en 1855 par le joaillier Alexandre-Gabriel Lemonnier. Autre pièce remarquable du début XIXe siècle : le collier d’émeraudes et de diamants offert en 1806 par l’empereur Napoléon à Hortense de Beauharnais, future reine Hortense et fille de l’impératrice Joséphine est un autre exemple marquant de la joaillerie impériale du début XIXe. Conservé au Victoria & Albert Museum de Londres, il a été créé par Nitot & Fils, les principaux joailliers de Napoléon. Quant à l’excentrique maharadja de Patiala, il commanda en 1927 à la maison Boucheron 149 parures, dont un extravagant plastron de cérémonie en émeraudes.

Les émeraudes aiment définitivement se parer de légendes… Emerald, un ouvrage collectif coécrit en 2013 par l’experte Joanna Hardy, revient sur l’histoire de ces bijoux mythiques. Elle a composé une sélection de 200 pièces exceptionnelles, pour la plupart de lignées royales ou issues de commandes passées par les maharadjas du XIXe siècle et les grandes héritières du XXe. Mais aussi de quelques stars. « J’ai eu l’occasion de découvrir l’un de ces chefs-d’œuvre en 2011, lorsque Christie’s a vendu aux enchères une broche à pendentif en émeraude fabriquée par Bulgari, confiait Joanna Hardy sur CNN à l’occasion de la sortie de son livre. Richard Burton avait à l’origine acheté cette broche pour Elizabeth Taylor, lors du tournage de Cléopâtre dans les années 1960. Je l’ai essayée lors d’un événement organisé avant la vente aux enchères et je me souviens encore de son éclat. Les pierres ressemblaient aux ailes irisées d’un scarabée égyptien et m’enveloppaient d’une merveilleuse lueur verte. Elle a ensuite été vendue pour 6,5 M$, pulvérisant l’estimation initiale de 500.000 à 700.000 $. » Dans ce beau livre qui fait partie d’une trilogie avec le rubis et le saphir, des créations historiques côtoient des pièces de Cartier, Boucheron et Bulgari et des designers contemporains : Hemmerle, Leo de Vroomen et Sevan Biçacki. Imperturbable, l’émeraude traverse le temps et les modes avec la même constance.

GemGenèveémeraude
Diotima Schuck
1er novembre 2023
Genève
352

Laura Inghirami est une influenceuse en joaillerie et la créatrice de Donna Jewel, une société dédiée à la transmission d’histoires d’excellence d’artisans, de talents émergents et de grandes Maisons.

Que signifie pour vous le terme « excellence » ?

C’est un mode de vie qui me conduit à toujours essayer de faire de mon mieux, sans jamais cesser d’apprendre et d’œuvrer en faveur de l’innovation, de l’authenticité, de la beauté et de l’originalité. En tant qu’entrepreneur, l’excellence est devenue ma façon de travailler, en recherchant continuellement la perfection.


 


Comment envisagez-vous les missions d’un « leader d’opinion » ?

C’est une responsabilité et une vocation. Cela signifie croire et partager des valeurs telles que le respect, l’inclusivité, l’ouverture, la précision et l’excellence. Ma mission est également de m’engager auprès des jeunes, car les entreprises ont besoin d’eux, et notamment d’artisans spécialisés. C’est pourquoi je participe aussi à de nombreuses activités visant à parrainer, promouvoir et encourager les étudiants et les talents émergents.


 


Pouvez-vous me parler des tendances actuelles en joaillerie ?

Mon travail me permet d’en suivre de près l’évolution. L’attrait pour les bijoux vintage est de plus en plus fort, car ils sont en accord avec les questions de développement durable. Dans la joaillerie contemporaine, l’utilisation de techniques artisanales anciennes ou de motifs historiques est très courante, et la valeur accordée à l’artisanat, toujours plus forte. La couleur a également toujours été un élément clé pour refléter l’air du temps ; aujourd’hui, le bleu à le vent en poupe. Enfin, la joaillerie, aujourd’hui, est fluide : elle n’est plus liée à des codes esthétiques ou de genre, mais devient peu à peu la pure expression de la personnalité de la personne qui la porte, sans aucune restriction.

GemGenèveinterview

Commissaire de l’exposition « Un âge d’or » de la Maison Chaumet en cours jusqu’au 5 novembre, Vanessa Cron est historienne du bijou. Elle a acquis son expertise par de longues années de recherches à la faveur de son amour pour la joaillerie, découverte au détour d’une rencontre.

Diotima Schuck
1er novembre 2023
Genève
352

Entrée chez Christie’s en 2000 en tant que graphiste, Vanessa Cron découvre au sein de la maison de ventes le département de joaillerie et fait la rencontre de celui qui va devenir son mari, lui-même expert en bijoux. C’est pour elle la naissance d’une passion, développée depuis plus de vingt ans à travers la recherche, l’enseignement ou encore le commissariat d’exposition.

Une expertise acquise sur le terrain

De Paris, Vanessa Cron part s’installer à Genève en 2005. Sans formation en histoire du bijou, absente des cursus proposés à l’université ou en école, elle apprend à regarder l’objet par des moyens détournés. Car si les diplômes en gemmologie existent, ils permettent d’abord d’identifier les pierres, soit de pouvoir « faire la différence entre un bout de verre et un diamant, explique l’historienne. Pour en apprendre plus sur le bijou lui-même, le seul moyen, c’est d’étudier les catalogues de vente aux enchères, aller voir les pièces, les observer une par une. »

C’est ainsi auprès du marchand Thomas Faerber, par ailleurs co-fondateur de GemGenève, que Vanessa Cron s’initie à la joaillerie, plus particulièrement au bijou ancien : « J’ai eu la chance d’être mise au contact de pièces très importantes que je devais authentifier, avec l’aide d’experts, puis les décrire, raconte-t-elle. Ma formation s’est faite en regardant, en posant des questions, en étant curieuse et en voulant en savoir plus sur les pièces. »

De retour chez Christie’s en 2009, dans le département de joaillerie cette fois, Vanessa Cron se spécialise dans les bijoux des XIXe et XXe siècles tant à travers la lecture d’ouvrages que par l’approche précise de nombreuses créations. Là, elle se forge une expérience personnelle et une compréhension des périodes, des styles, des pays qui produisent les bijoux. Des connaissances acquises grâce à des recherches assidues, rigoureuses, qu’elle ne tarde pas à partager.

Le goût du partage

En 2012, l’historienne commence à enseigner l’histoire du bijou à la HEAD — la haute école d’art et de design de Genève — auprès de jeunes designers. Des cours qu’elle construit à partir de son savoir et de sa volonté de transmettre. Elle confie : « Les cours sont donnés par des indépendants, des historiens qui les conçoivent, ils dépendent donc des professeurs et du public auxquels ils sont destinés. J’ai fait mes cours par rapport à ce que je trouvais intéressant et je les ai adaptés à différentes configurations. »

De salles de classe en conférences, Vanessa Cron décide de se consacrer à l’enseignement. En décembre 2016, elle quitte Christie’s pour devenir indépendante et donner des masterclass à New York, Hong Kong, Shanghai ou Londres. Auprès de Christie’s Education, l’institut de la maison dédié à l’enseignement, elle s’adresse davantage à des professionnels du bijou, des collectionneurs et des passionnés.

C’est aussi à la demande de ses étudiants qu’elle finit par créer son Instagram, Jewels and the gang. « À la fin du semestre, mes élèves voulaient continuer à apprendre. L’un d’eux m’a conseillé d’ouvrir un compte, et tout a commencé comme cela. L’idée étant de poster des bijoux que j’aime ou que je trouve intéressants, en les associant à des anecdotes et parfois un petit côté éducatif », raconte-t-elle.

Du Palais de Tokyo à Chaumet

En 2020, Vanessa Cron est contactée pour travailler sur la toute première rétrospective de la Maison Fred au Palais de Tokyo, inaugurée en septembre 2022. Une exposition majeure, préparée avec Vincent Meylan, journaliste, historien et spécialiste de la haute joaillerie, pour laquelle elle est amenée à raconter l’histoire de la maison.

Contactée peu après par Chaumet, l’historienne amorce un travail sur la collection patrimoniale de la Maison grâce à ses compétences et son expertise : « Ayant travaillé avec des marchands et des collectionneurs, je peux éventuellement identifier des pièces, je sais où elles peuvent se trouver pour être rapatriées et intégrer la collection patrimoniale », confie-t-elle.

En parallèle, l’historienne redécouvre des pièces oubliées grâce aux archives de la Maison et propose le thème de l’exposition en cours, « Un âge d’or : 1965 - 1985 ». « Les choses sont venues assez naturellement avec cette envie de faire une exposition autour d’un thème qui n’avait pas encore été abordé, raconte Vanessa Cron. C’est intéressant parce qu’au sein même de la Maison, certaines personnes étaient étonnées des pièces retrouvées. »

De cette redécouverte portée par le regard de l’historienne émane une passion fondamentale pour l’objet, la volonté de continuer à découvrir et à apprendre.

L’amour du bijou

De son travail auprès d’un marchand d’art et d’une maison de vente, de son rôle d’archiviste ou d’historienne, de l’enseignement au commissariat d’exposition, les activités de Vanessa Cron sont multiples. Toutes cependant sont tournées vers le même objet : le bijou. Il est désormais loin le temps où, graphiste, elle ne s’intéressait pas à ces créations. Ces objets désormais lui « parlent », « racontent des histoires ». « Ce qui compte, c’est l’émotion qu’ils procurent. », confie la spécialiste.

Pour Vanessa Cron, qu’importe le bijou, son aspect spectaculaire s’efface derrière la valeur sentimentale, primordiale. « Les bijoux préférés de quelqu’un sont généralement des bijoux qui veulent dire quelque chose », explique l’historienne. De la même façon, sa préférence va à un bracelet en or d’Ernesto Pierret, dénué de pierres précieuses, un « bijou de sentiment » précise-t-elle.

Et si l’envie de savoir qui a fait l’objet, ce qui le compose, ce qui l’a inspiré survient vite, Vanessa Cron n’hésite pas à parler de « magie » pour parler d’une pièce exceptionnelle : un ensemble de choses, du dessin à la fabrication, en passant par les pierres utilisées. Et de confier : « Les experts ne sont pas toujours d’accord sur les bijoux, mais il y a une vraie convergence des opinions quand il s’agit de l’excellence de la haute joaillerie. »

Aujourd’hui, Vanessa Cron a quitté Genève et l’Europe pour les Caraïbes. D’un petit bateau, elle navigue entre les îles, poursuit son travail de recherche pour Chaumet et prévoit de nouveaux cours sur son temps libre. « Je ferai peut-être quelques conférences l’année prochaine à GemGenève. Mais je viens cette année pour voir tout le monde, il y a beaucoup de gens que j’aime beaucoup. Et puis, c’est l’occasion rêvée de découvrir de formidables bijoux. »

GemGenèveinterviewartiste femme
Diotima Schuck
1er novembre 2023
Genèveg
352

Tenant un rôle majeur dans le monde de la joaillerie, les laboratoires de gemmologie permettent aux marchands, maisons de vente et marques de bijoux d’authentifier leurs pierres, en déterminer la pureté, la provenance, et ainsi en fixer la valeur.

Mise au service de ces analyses, l’intelligence artificielle est un outil de plus en plus utilisé : « Le projet a commencé en 2020. Nous avons entraîné notre logiciel pendant deux ans et demi et l’appliquons concrètement depuis six mois », explique Daniel Nyfeler, directeur général du Gübelin Gem Lab. « L’intelligence artificielle ne nous permet pas d’améliorer nos recherches à proprement parler, mais la cohérence des résultats. Un ensemble de données ne sera pas interprété de la même manière par plusieurs experts différents, tandis que l’IA fournira toujours la même interprétation. », précise-t-il.

Pour Laurent Cartier, attaché à la Fondation suisse pour la recherche des pierres, c’est aussi le moyen de mieux organiser et visualiser les milliers de données chimiques et spectroscopiques présentes dans les pierres pour « mieux les identifier, et comprendre comment elles se forment ».

Une table ronde est ainsi organisée à l’occasion de GemGenève pour en présenter les enjeux, les avancées, et le potentiel pour la recherche en gemmologie.

GemGenèvematériaux

Dans le monde de la haute joaillerie, il y a les diamants, les pierres précieuses et les pierres ornementales… mais aussi, parfois, des matériaux atypiques, que les maisons de joaillerie utilisent pour en révéler la beauté ou encore signer leur propre identité créative.

Diotima Schuck
1er novembre 2023
Genève
352

Un matériau « atypique » en joaillerie se définit sous plusieurs aspects : soit il se trouve en petites quantités, soit il n’est simplement pas valorisé. Il peut aussi se caractériser par sa difficulté à être travaillé et taillé, comme c’est le cas de certaines roches trop friables. D’autres encore rencontrent des difficultés à être approvisionnés et certains, finalement, sont restreints par des régulations interdisant leur utilisation — l’ivoire d’éléphant par exemple, rarement remplacé par l’ivoire de phacochère pour des pièces sculptées. En voici une petite liste non exhaustive guidée par les recherches de la conférencière et consultante en joaillerie Marie Chabrol.

Pierres ornementales. Le grand retour

Opales, rhodochrosites, chrysoprases, agates, malachites, rhodonites, sugilites, lapis-lazulis… Très colorées, opaques et souvent non facettées, ces pierres ornementales sont souvent considérées comme moins « précieuses » que les rubis, saphirs et autres émeraudes. En vogue dans les années 70, elles avaient été oubliées pendant un certain nombre d’années. Ce n’est qu’à partir de 2016 que les grandes maisons de joaillerie les remettent au goût du jour à travers leurs collections, de Van Cleef & Arpels à Chaumet, en passant par Fred, Cartier ou Boucheron. Aujourd’hui, les créateurs indépendants les utilisent aussi, pour un rendu graphique, coloré, et de nouvelles manières de concevoir leur créativité.

Quartz à inclusions. Remarquable transparence

Le quartz est utilisé depuis longtemps en bijouterie et regroupe en fait des pierres aux aspects bien différents, qu’elles soient opaques ou transparentes, telles que le quartz rose, la citrine, l’améthyste, l’agate ou encore le jaspe. Le quartz à inclusions, lui, renferme différentes matières qui peuvent être solides, liquides ou gazeuses, il est préféré parfaitement incolore et renferme des cristaux. Ici, Marie Chabrol précise : « Ces pierres se trouvent en quantité, mais il s’agit d’abord d’en trouver suffisamment de bonne qualité pour qu’ils puissent être utilisés en haute joaillerie. » L’aspect unique des inclusions peut aussi poser problème lors de la commercialisation des pierres dans le cadre de séries et donc dans le recherche de caractéristiques suffisamment uniformes…

Pebbles. Galets

Commercialisés sous le nom « pebbles », les galets de rivière sont parfois utilisés en haute joaillerie, leur aspect gris sombre, très opaque et épais contrastant avec la délicatesse d’autres pierres précieuses ou le raffinement du dessin du bijou. La Maison Adler a notamment créé la collection Pebbles, associés aux saphirs aux couleurs pastels, évoquant l’objet brut, mais sans l’employer directement dans la création de ses pièces. En 2020 pourtant, Paolo Spalla, bijoutier italien, propose une bague sertie d’un diamant, placé côte à côte avec un pebble monté sur l’anneau. Taffin Jewelry aussi, élabore parfois ses bijoux avec ce matériau. Mais l’utilisation du galet reste somme toute assez rare chez les joailliers, qui travaillent plus volontiers des matières plus nobles et plus douces.

Jaspe Maligano. Découverte récente

La jaspe bréchique est une pierre rouge possédant des inclusions brunes et noires. La jaspe Maligano, découverte en 2011 en Indonésie sur l’île de Sulawesi, est une variété de jaspe bréchique composée de différents types de jaspes formées dans d’anciennes sources chaudes volcaniques. Des veines grises d’agate comblent les brèches pour un rendu très singulier, propre à chaque pierre, constituée d’une multitude d’inclusions. De la même manière que le quartz à inclusions, son aspect unique fait de la jaspe Maligano une pierre difficile à utiliser pour l’industrie de la joaillerie. Elle est ainsi encore très peu présente sur le marché, mais pourrait bien offrir de grandes possibilités créatives aux bijoutiers qui sauraient s’en emparer.

Obsidienne cacahuète. Tachetée

Si l’utilisation de l’obsidienne, roche volcanique tantôt grise, vert foncé, rouge ou noire, n’est pas rare en haute joaillerie, celle de l’obsidienne dite « cacahuète » ou « peanut » est bien moins fréquente. Nommée d’après les petites taches de couleur rouge ou marron évoquant des cacahuètes qui apparaissent à sa surface, cette pierre peut être trouvée au Mexique, aux États-Unis, en Italie ou en Grèce. Pourtant, elle est très rarement travaillée pas les Maisons de bijouterie.

Pomme de pin. Bois pétrifié

En Patagonie, la Cerro Cuadrado Petrified Forest a été ensevelie sous des cendres volcaniques il y a environ 160 millions d’années. Transformée en roche, la cendre a partiellement préservé son écosystème, dont des noix d’araucaria désormais fossilisées. Lors de leur silicification, de la rhodochrosite s’est greffée, donnant une teinte rose aux pommes de pin. La Maison Cartier a ainsi présenté il y a quelques années un collier ainsi orné d’une pomme de pin, sélectionnée avec soin. Mais la dimension aléatoire de ces transformations successives peut poser des difficultés dans l’exploitation de ces bois transformés en roche : il faut absolument de beaux sujets fossilisés, présentant un mélange entre silice et rhodochrosite bien visible. Des facteurs très limitants, malgré le caractère exceptionnel de ces objets.

Indian paint rock. Tarissement

Venue de la Vallée de la mort en Californie, l’Indian paint rock mine est une roche sédimentaire, formée par l’accumulation de sédiments déposés sous l’action de l’eau ou de l’air. Ses couleurs, noire et ocre, présentent des motifs créés par des traces de fer et de manganèse, aspirées dans la roche à travers de minuscules fissures. Au polissage satiné plutôt que brillant, la pierre offre un aspect esthétique spectaculaire. La source de ce matériau s’est cependant tarie et elle n’est plus exploitable aujourd’hui.

Bubble Magnésite. Fragile

La Bubble magnésite est une pierre rarement utilisée en haute joaillerie. Comme son nom l’indique, elle présente des tâches sur sa surface sombre, comme autant de petites bulles orangées. À l’instar de sa cousine, la magnésite Wild Horse, blanche et parcourue de petites lignes brunes ou grises, sa coupe est rendue difficile par sa fragilité. Elle est peu utilisée en grande quantité, car elle doit d’abord être stabilisée — généralement à l’aide d’une résine. Elle apparaît cependant parfois dans les bijoux fantaisie, ou sous forme de cabochon.

Lépidolite. Friable

D’un point de vue minéralogique, la lépidolite est une pierre assez répandue, dont les gisements se trouvent au Brésil, à Madagascar, en Inde, aux États-Unis ou au Zimbabwe. À l’image de la Bubble magnésite, elle est fragile et doit être nécessairement stabilisée pour pouvoir être utilisée en bijouterie au vu de son caractère friable, feuilletant à la taille. Elle apparaît surtout dans des bijoux de lithothérapie, peu solide ou pérenne, et de piètre qualité. Dans l’industrie du luxe, elle est davantage utilisée en horlogerie pour produire des cadrans de montres par exemple, que pour sertir des bijoux.

Insectes. Objets naturels

Joaillier suisse né en 1930 et décédé en 2019, Gilbert Albert est l’artisan incontournable des matériaux atypiques et organiques. Ses bijoux se parent de squelettes d’oursin, de dents de requin ou de plumes, mais aussi de scarabées ou de coquillages. Sa technique de conservation pour les exosquelettes demeure toutefois inconnue et l’utilisation de tels éléments, reste difficile à développer et à appliquer en série pour les joailliers — au-delà de questionnements éthiques évidents. La haute joaillerie préfèrera davantage utiliser des matériaux classiques pour représenter la nature — insectes, fleurs ou papillons — dans des matières pérennes et plus facilement conservables.

GemGenèvematériaux
Carine Claude
1er novembre 2023
Genève
352

L’inspiration animalière est omniprésente dans l’histoire de la joaillerie, en particulier le motif du serpent. Le 3 novembre, Gislain Aucremanne, Heritage Curator Director chez Bulgari donnera une conférence intitulée « Le serpent en joaillerie, symbole précieux et sinueux ». Des bijoux de l’Antiquité aux reptiles de l’ère victorienne, des talismans extraeuropéens à la célèbre icône joaillière de la maison Bulgari à Rome, la conférence abordera la figure du serpent comme symbole de renaissance et de transformation, un motif qui a traversé toutes les civilisations. Fascinant, sensuel, exotique… Rien d’étonnant à ce que le serpent soit devenu l’un des animaux les plus représentés dans l’histoire de la joaillerie.

c
GemGenèveSuisse
Carine Claude
1er novembre 2023
Genève
352

C’est l’émotion de la couleur qui réunit l’art de la plume et de la joaillerie. Lors de la table ronde « Plume et joaillerie, l’enchantement de la couleur » du 4 novembre, les intervenants exploreront le registre de la couleur dans l’univers de l’ornithologie, dans l’art de la plume et parleront de son importance dans la création joaillière sous l’égide de Jean-Bernard Forot, responsable du Patrimoine de la maison Piaget. Dans une première partie, Jaques Cuisin, délégué à la conservation du Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris, expliquera l’influence et la fonction de la couleur du plumage des oiseaux, de la séduction à l’apparat. Nelly Saunier se confiera sur sa passion pour la plume, son art pour la sublimer, et comment elle joue avec leur couleur pour ses créations artistiques. Enfin, Stéphanie Sivrière, directrice de la création Piaget, dévoilera comment elle s’est inspirée de la couleur pour marier les plumes avec les pierres précieuses et créer des pièces de joaillerie inédites et uniques. Un dialogue permanent entre nature et culture, création et interprétation artistique, plumes et gemmes.

GemGenèveplumes

C’est un art ancestral qui a bien failli disparaitre. Dans la haute joaillerie, les artistes plumassiers se comptent aujourd’hui sur les doigts d’une seule main.

Carine Claude
1er novembre 2023
Genève
352

Son savoir-faire est unique au monde. L’artiste plumassière Nelly Saunier, qui intervient lors de la table ronde « Plume et joaillerie, l’enchantement de la couleur » du 4 novembre, crée des bijoux enchanteurs composés de plumes multicolores entremêlées de matières précieuses avec une dextérité et un sens de la poésie remarquables et remarqués — Chevalière des arts et des lettres, elle a obtenu la distinction de Maître d’Art en 2008. Car si les plumassiers sont rares, les artistes plumassiers de haute joaillerie le sont encore davantage.

Les grandes maisons se l’arrachent. Harry Winston, Chopard et Piaget font appel à ses talents. Pour cette dernière, Nelly Saunier réalise en 2015 une manchette signature « Secrets & Lights » parée d’une fleur-oiseau, spectaculaire marqueterie de plumes où trône une émeraude constellée de saphirs et de diamants. Pour la collection « Sunlight Escape » en 2018, elle imagine quatre pièces en plumes d’oie et de pélican rehaussées de feuilles d’or 24 carats, des boucles d’oreilles et des manchettes, « qui évoquent un paysage enneigé illuminé par un soleil radieux, la fraicheur d’un glacier, la douceur de la neige réinterprétée en formes géométriques. » En 2021, elle réalise pour leur collection d’inspiration tropicale « Wings of Light » le spectaculaire collier asymétrique « Majestic Plumage » orné d’une rare tourmaline Paraìba du Mozambique de 7,49 carats et d’où un magnifique Ara au plumage multicolore prend son envol dans un tourbillon de saphirs et de tourmalines bleues. Un mimétisme avec la nature tout à fait étonnant. 620 heures de travail auront été nécessaires pour réaliser cette prouesse.

Savoir transmettre

Patience, dextérité et minutie figurent au premier rang des qualités requises pour ce métier de haute précision. Ce ne sont pas les seules. Or, très peu de formations existent pour acquérir ces savoir-faire qui nécessitent un long apprentissage. Nelly Saunier elle-même, après avoir enseigné son métier pendant une vingtaine d’années au lycée Octave-Feuillet, transmet désormais sa passion à ses collaboratrices dans son atelier. Le déclin des métiers de la plume explique la rareté des écoles qui l’enseignent encore. À Paris, le nombre de plumassières est passé d’environ 7.000 en 1890 à 425 en 1919, puis 88 en 1939 et… seulement 5 en 1980. Les maisons traditionnelles sont alors balayées par la concurrence asiatique. Aujourd’hui, la profession perdure à travers quelques rares professionnels de la haute couture, du spectacle ou de la création — en 2002, Chanel avait repris la société de plumasserie Lemarié pour sauvegarder son savoir-faire.

En France, la seule formation initiale diplômante est proposée dans le cadre d’un CAP plumassière fleuriste en fleurs artificielles sur deux ans au lycée Octave Feuillet. La formation propose des ateliers de pratiques pour apprendre à nettoyer, teindre, préparer, découper, encoller et friser la plume. Les techniques de plumasserie permettent d’apprendre le collage, le montage et l’assemblage de différents types de plumes, sur différents supports. Histoire de l’art, dessin et arts appliqués complètent l’enseignement technique. Quelques formations professionnelles de courte durée existent également pour s’essayer à la plume, comme l’initiation Plumes du GRETA de la création, du design, et des métiers d’art à Paris qui permet d’acquérir les bases techniques indispensables au travail de la plume dans la mode, la chapellerie, le costume. En tout, une cinquantaine de plumassiers exerceraient en France. Bien moins encore pour la haute joaillerie.

Éthique de la plume

Dans le secteur de la bijouterie fantaisie de belle facture, quelques artistes plumassiers défendent eux aussi leur art. Lucia Fiore réalise des mosaïques de plumes géométriques qu’elle mêle aux métaux précieux ou à des matières moins conventionnelles comme le bois. « Dans mon atelier strasbourgeois, j’exerce un métier à la croisée de l’artisanat et des arts plastiques, alliant les techniques anciennes de la plumasserie à un désir d’exploration et de recherche formelle, confie -t-elle. Mes créations prennent la forme de petites séries de bijoux, de tableaux et de sculptures, dans lesquels la plume ne se réduit pas à de l’ornement, mais devient le sujet central. Les qualités visuelles de ce matériau, la richesse de ses couleurs et de ses reflets, s’expriment à travers des compositions inspirées par la nature, les arts traditionnels et le minimalisme géométrique. » Lucia Fiore récupère ses plumes auprès des colombophiles pour des pigeons de race Modène ou Cravaté, ou encore dans des élevages spécialisés pour les plumes d’oiseaux de basse-cour, tels que le paon ou le faisan. Quant aux plumes de perroquets et de perruches, elles proviennent de leur mue naturelle qu’elle récupère patiemment dans des volières de particuliers.

Car la plumasserie porte un lourd fardeau en héritage. Elle a failli conduire à l’extinction de certains oiseaux d’Amazonie. En Europe, les démesures emplumées de la fin du XIXe et du début du XXe siècle ont dépeuplé les effectifs d’oiseaux migrateurs. En 1910, il se vendit au marché de Londres 1,470 kg de plumes, ce qui représentait la chasse de… 290.000 aigrettes. Depuis l’application de la convention de Washington, aucun oiseau n’est censé être tué pour ses plumes. Les plumassiers se fournissent ainsi auprès d’élevages ou de stocks anciens pour les pièces d’exceptions, à condition d’en assurer la traçabilité. L’avenir de ce métier rare se dessinera dans l’éthique et la transmission.

GemGenèveplumes
Carine Claude
1er novembre 2023
Genève
352

Réunissant autour de la table Laurent Cartier, expert Perles du laboratoire SSEF, Violaine Bigot, responsable Patrimoine de la maison Chaumet, et Kathia Pinckernelle, historienne du bijou, cette conversation se penchera sur la riche histoire des perles depuis l’Antiquité. Pouvoir, pureté, prestige… Des civilisations anciennes au luxe moderne, elle dévoilera la fascination intemporelle pour les perles, qui a conduit les hommes à les récolter, les imiter et les cultiver. Car dans toutes les cultures du monde, les perles ont été chéries pour leur symbolisme, leur beauté et leur rareté. Cet échange entre historiens et experts permettra d’aborder également les techniques et les méthodes utilisées pour tester et authentifier les perles, mettant en lumière l’art et la science de l’identification. Cette conversation sera complétée par la table ronde « Les perles : scène et enjeux contemporains » qui traitera notamment la question fondamentale de la durabilité, et de la nécessaire adaptation des pratiques et de la production. Car les perles, vigies fragiles des cours d’eau et des océans, sont en première ligne des changements climatiques.

GemGenèveperles
Carine Claude
1er novembre 2023
Genève
352

Toute la magie des perles en une seule exposition. Rassemblant plus d’une trentaine de bijoux et de pièces d’exception, « The Pearl Odyssey » raconte l’histoire de ces trésors de la nature, de l’Antiquité jusqu’aux techniques de pointe utilisées de nos jours en laboratoire. Concocté spécialement pour GemGenève, ce projet inédit fédère la maison Chaumet, le collectif Flee Project, la célèbre — et unique — Collection Alfardan ainsi que plusieurs exposants partenaires, qui ont accepté d’exposer certaines de leurs plus belles pièces pour l’occasion.

Le parcours s’ouvre sur un espace immersif recréant l’atmosphère des pêcheurs de perles du Golfe persique et d’ailleurs. L’espace central offre, pour sa part, un écrin aux grands joaillers : bijoux de provenance impériale, perles d’exception, pièces exclusives et historiques issues des plus prestigieuses collections privées… On y admire l’iconique broche en perle et rubis de l’Impératrice Eugénie ou encore l’étonnante broche fleur en perles dent-de-chien réalisée par la maison Vever en 1900, témoignant de la pluralité des styles et des modes qui se sont succédé au fil des époques.

L’exposition s’achève sur un éclairage scientifique avec l’Institut suisse de Gemmologie (SSEF). Prenant comme fil conducteur la question de la différenciation entre perles fines et perles de culture, ce dernier espace est consacré à l’étude et à l’analyse des perles, des premières expérimentations de Joseph Chaumet aux techniques actuelles de laboratoire. Un panorama complet sur les méthodes d’expertise permettant d’évaluer la qualité et l’origine de toutes les perles du monde.

GemGenèveperles

Miracles de la nature et joyaux vivants, les perles accompagnent l’humanité depuis la nuit des temps. GemGenève leur rend un bel hommage à travers une exposition inédite et des conférences associées.

Carine Claude
1er novembre 2023
Genève
352

C’est le plus ancien joyau du monde. Vénérées, entourées de mythes et de légendes, les perles sont nimbées de mystères. Le premier d’entre eux : la magie qui entoure leur naissance. Car tout nait d’un accident, lorsqu’un coquillage habille de nacre un minuscule intrus. La perle qui se forme couche après couche révèle une infinité de couleurs allant du blanc intense au noir profond, en passant par le gris, le bleuté, le violet ou le vert. « Les perles naturelles sont fascinantes, dit Ronny Totah, co-fondateur de GemGenève. Leur beauté unique et leur rareté ont captivé l’homme depuis des milliers d’années. Leur formation prend des décennies, ce qui en fait des trésors naturels inestimables. » Ce grand amateur et spécialiste des perles naturelles poursuit : « La perfection des perles naturelles réside dans leur imperfection même. Chaque perle est unique, avec sa propre taille, forme, couleur et lustre. Elles peuvent être rondes, ovales, baroques ou même en forme de larme. Leur couleur varie du blanc pur au noir profond, en passant par une large gamme de teintes comme le rose, le champagne, ou encore le bleu vert irisé, rappelant les ailes de libellule ».

L’autre mystère de la perle tient à sa récolte, lorsque les pêcheurs traditionnels vont la chercher dans les profondeurs, souvent au péril de leur vie. Elles ont fait la gloire et la fortune du Golfe persique. Du Japon à l’Amérique du Sud, de l’Australie à Ceylan, en passant par le canal du Mozambique, tous les océans du monde ont été, à un moment ou un autre, des sites de pêche incontournables.

Il était une fois…

La plus ancienne perle récoltée par l’homme, il y a plus de 8.500 ans, fut découverte au Mexique. « L’humanité entretient une relation toute particulière avec les perles », explique Laurent Cartier, expert en perles du Swiss Gemmological Institute (SSEF), un laboratoire réputé de Bâle. « C’est sans doute la matière précieuse la plus ancienne utilisée par l’homme. Certaines ont été datées de plus de 8.000 ans. À titre de comparaison, les diamants les plus anciens ont 3.000 ans, tout comme les rubis et les saphirs. » Le plus ancien bijou de perles, un collier de trois rangs comprenant 216 perles, fut découvert en Iran en 1901. Il appartenait à une princesse perse ayant vécu il y a plus de 2.500 ans. Dans la Chine ancienne, la perle est une offrande aux dieux et aux empereurs. Les Romains en font un signe de richesse et de rang social. Un premier âge d’or pour ce joyau de prédilection des élites. Le second explosera à la Renaissance. Brodée sur les costumes, portée en parure, en boucles d’oreilles et en couronnes, la perle est omniprésente chez les nobles. En France et en Europe, le XIXe siècle est l’ère de la démesure impériale et bourgeoise, avec des sautoirs de trois, cinq voire sept rangs, avant que les grandes maisons Chaumet, Cartier, ou encore Vever ne réinventent l’art du bijou de perles au début du XXe siècle.

« Il y a toujours eu un engouement incroyable pour les perles fines du fait de leur rareté, avec bien entendu des périodes plus ou moins marquées, précise l’expert Laurent Cartier. Récemment, par exemple, dans les années 2010-2018, les perles sauvages ont été particulièrement recherchées. Mais il faut bien comprendre que pour les perles fines, il n’y a quasi plus de nouvelles productions. Les joailliers travaillent sur des stocks anciens. La matière a une telle valeur que les gens en prennent soin comme des œuvres d’art. On compte peu de collectionneurs, peu de marchands, mais certains sont très spécialisés. C’est un savoir-faire unique et un marché de niche avec des prix extrêmes élevés. »

La science des perles

Car sa rareté a bien failli faire disparaitre la perle sauvage. Pour répondre à l’explosion de la demande, la surpêche était une pratique systématique à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. « Quelque part, la découverte de la perle de culture a sauvé cette industrie, car il aurait été impossible de continuer à extraire autant d’huitres perlières », explique Laurent Cartier. La naissance de la perle de culture est généralement associée au Japon à la fin du XIXᵉ siècle. En 1893, le japonais Kokichi Mikimoto crée ce spécimen en introduisant volontairement un parasite appelé nucléon à l’intérieur d’une coquille d’huître. Le mollusque, grâce à son mécanisme d’autodéfense inné, sécrète de la nacre et une perle se forme alors. C’est véritablement à partir de 1905 qu’est mis au point le procédé permettant d’obtenir les premières perles de culture parfaitement sphériques. « Mikimoto a révolutionné la culture de la perle et a été aussi un génie du marketing. Les perles fines étaient inaccessibles pour beaucoup et il a réussi à démocratiser ce produit », explique Laurent Cartier. Cette découverte marque les débuts de la perliculture. Une activité teintée de méfiance à ses débuts, les perles fines étant le Graal de la création. Mais les perles de culture permettront aux grands joaillers d’ouvrir de nouvelles voies et de nouvelles esthétiques aux bijoux en perles. « Aujourd’hui encore, la place de Kobe au Japon est l’une des plus importantes au monde. Toutes les plus belles perles de culture du monde y transitent. Le savoir-faire japonais est unique », constate Laurent Cartier.

Trésors d’ingéniosité

Avant même la mise au point des techniques de culture, les hommes ont toujours cherché à imiter les perles sauvages. Un phénomène aussi ancien que la passion qu’elles suscitent. Dès l’Antiquité, on cherche les moyens de copier ces trésors de la nature, si prisés et pourtant si difficiles à se procurer. « Les Romains faisaient déjà des imitations. Léonard de Vinci a même créé une recette de perles ! L’imitation a toujours existé », affirme Laurent Cartier. « Le vrai, le faux, la perception du luxe ou de la valeur existaient dès l’Antiquité. Il y a une part d’ingéniosité dans certaines imitations. On ne peut pas tout jeter et dire que c’est mauvais. Il faut que le consommateur final sache ce qu’il achète, mais il y a aussi une forme d’art là-dedans. L’imitation fait partie du patrimoine et de l’histoire des perles. C’est l’un des sujets qui sera discuté lors de la table ronde “Pearls of Truth”. »

Vigies des océans

Un autre point essentiel abordé lors de la seconde table ronde « Les perles : scène et enjeux contemporains » sera la question de la durabilité. Les huitres perlières, comme les autres mollusques, sont extrêmement sensibles aux changements climatiques. Le dioxyde de carbone de l’atmosphère est absorbé par les océans qui deviennent de plus en plus acides. Résultat : les coquillages ont de plus en plus de mal à former leur coquille. « Sur le long terme, ce phénomène risque d’avoir un impact sur la production, explique Laurent Cartier. Un autre aspect majeur est que les huitres sont sensibles aux fluctuations de températures et aux pollutions, aux algues, etc. Elles sont de très bons baromètres de la santé de nos océans et des cours d’eau, notamment en Chine qui cultive les perles en eau douce. Pour continuer à produire des perles de culture de qualité, les perliculteurs doivent le prendre en compte. »

Vedettes

Fines ou de culture, les perles continuent d’attirent les stars et les foules. En 2014, l’exposition « Pearls » du Victoria and Albert Museum de Londres avait connu un franc succès. Parmi les 200 bijoux exposés figuraient une perle blanche portée par Charles I, des tiares de l’aristocratie européenne, le collier en perles d’Akoya offert par le joueur de baseball Joe DiMaggio à son épouse Marilyn Monroe ou encore des boucles d’oreilles d’Elizabeth Taylor. Cette dernière, grande amoureuse des perles, possédait d’ailleurs la Peregrina, une perle légendaire tant par sa beauté que par son histoire. Elle aurait été découverte en 1579 par un esclave noir dans le golfe de Panama, qui aurait acheté sa liberté grâce à elle. Vendue à un marchand portugais, elle est ensuite acquise par Philippe II d’Espagne. Elle se retrouve au cou de son épouse, la reine Mary Tudor, et de nombreuses reines après elle. Napoléon Ier s’en empare. Napoléon III la vend au duc d’Abercorn. Puis elle disparait… Richard Burton l’emporte pour 37.000 $ chez Sotheby’s en 1969 et l’offre à sa femme, Liz Taylor. Lorsqu’elle sera vendue une nouvelle fois aux enchères à la mort de l’actrice en 2011, elle sera adjugée pour la somme astronomique de 11,84 M$ chez Christie’s à New York à un enchérisseur anonyme. Peut-être réapparaitra-t-elle un jour… La légende continue.

C’est pour célébrer les perles et les légendes qui les entourent que GemGenève a décidé pour sa 7e édition de rendre hommage à son tour à ces trésors de la nature avec « The Pearl Odyssey » (voir encadré), une exposition immersive rassemblant plus d’une trentaine de bijoux et de pièces d’exception provenant de la maison Chaumet, du collectif Flee Project et d’exposants du salon, mais aussi de prêts de la Collection Hussain Al Fardan, une collection unique au monde de perles fines — et sans doute la plus belle - conservée dans un musée privé à Doha. « Nous avons pris la décision de leur rendre hommage en leur consacrant une exposition-découverte pour révéler aux visiteurs leur beauté cachée », ajoute Ronny Totah. Une belle déclaration d’amour pour ce joyau millénaire.

GemGenèveperles
Carine Claude
1er novembre 2023
Genève
352

Nadège Totah est membre du conseil d’administration et co-organisatrice de GemGenève

Qui exposez-vous au Village des designers ?

Pour les Talents émergents, je ne recherche pas la perfection ou les pièces abouties, bien au contraire. Ce sont des coups de cœur. Ce qui m’intéresse, c’est l’histoire que ces artistes et leurs créations racontent. Ce sont souvent de toutes petites marques, discrètes, qui passent sous les radars du marché. En ce qui concerne la catégorie des « Nouveaux designers », elle regroupe des créateurs qui ont déjà une certaine expérience. Ce sont souvent de jeunes marques un peu plus implantées et qui ont développé un réseau, une visibilité, une clientèle. Par conséquent, elles ont un peu plus de moyens.

Comment les repérez-vous ?

Instagram est un puits intarissable pour découvrir de nouveaux talents. À partir d’un coup de cœur, des relations humaines se créent. J’adore discuter avec tous ces créateurs, comprendre le pourquoi du comment de leur démarche. On y trouve vraiment des pépites. Et puis, bien entendu, il y a le bouche-à-oreille… C’est quelque chose de très personnel. Je ne n’impose aucun critère de sélection, car il serait dommage de passer à côté d’un talent. Je n’ai pas de fil conducteur en dehors de mes goûts. D’ailleurs, tous ces designers sont très différents les uns des autres.

Pour la plupart, les pièces que vous avez sélectionnées sont gaies et colorées…

Parce qu’on en a besoin ! Il faut de la couleur et de la légèreté dans ce monde souvent terne et oppressant. En plus, c’est très fashionable. Il y a tellement de pierres pour s’amuser, comme les grenats… Les bijoux fantaisie sont à la mode. Plus c’est gros, plus c’est coloré, mieux c’est. On peut se projeter au bord de la plage en plein été avec de gros bracelets ou de grosses boucles d’oreilles. Ce n’est pas une parure de diamants où vous vous demandez « quand aurai-je l’occasion de la porter ? » Les mélanges de matériaux sont aussi à la mode. Par exemple, le créateur arménien Shavarsh Hakobian fait des bijoux unisexes très intéressants où il utilise du bois ou de la corde combinés avec des métaux et des pierres précieuses. Il faut oser le faire, mais ce n’est pas bas de gamme, bien au contraire. On reste toujours dans le registre de la haute joaillerie.

GemGenèveinterview

Directeur de GemGenève, Mathieu Dekeukelaire se confie sur les coulisses de l’organisation de ce « salon de niche » qui rayonne désormais bien au-delà des frontières helvétiques.

Carine Claude
1er novembre 2023
Genève
352

C’est un tour de force. Au rythme soutenu de deux éditions par an en mai et en novembre, ce jeune salon a su s’imposer dans la cour des grands en à peine cinq ans. Une prouesse pour la petite équipe de cinq salariés dirigée par Mathieu Dekeukelaire avec la complicité de Nadège Totah, co-organisatrice de l’événement. Flexibilité, agilité et dynamisme sont leur crédo. Au fil des éditions, le salon prend sa patine. Son riche programme culturel attire de plus en plus de grandes maisons. Ses exposants fidèles viennent ou reviennent selon les saisons. Et les jeunes créateurs, qui feront la joaillerie de demain, y trouvent leur tremplin d’avenir. Un « hub » à la fois commercial, éducatif et culturel, unique dans l’univers hautement concurrentiel de la joaillerie.

Vous êtes l’un des rares salons à proposer deux éditions par an. Comment arrivez-vous à tenir le rythme ?

Nous y arrivons, car nous sommes très bien entourés ! Nous fonctionnons avec les mêmes équipes et les mêmes personnes depuis plusieurs éditions, l’agence de conception, les équipes de surveillance, la gestion des coffres et des stands, etc. Chacun gagne en expérience et en efficacité, ce qui est un gain de temps considérable. Surtout, nous apprenons de nos erreurs d’une édition à l’autre. Nous sommes en permanence à l’écoute de nos exposants, ce qui nous permet d’apporter les correctifs nécessaires.

Lesquels, par exemple ?

En novembre 2022, nous avons souhaité aménager de grandes allées, car nous étions dans la Halle 6 de Palexpo qui est très vaste. Or, les exposants ont constaté que les visiteurs ne longeaient qu’un seul côté ! En bref, c’était une fausse bonne idée. Nous avons donc adapté la configuration en mai 2023 en réduisant leur largeur. Un autre exemple : certains exposants pouvaient se retrouver face au lounge ou au restaurant, des endroits attractifs où il y a beaucoup de passage. Sauf que certains ont eu l’impression que le salon se passait derrière eux. Pour novembre 2023, nous avons intégré cette réflexion dans l’implantation de la halle pour faire en sorte que tous les exposants soient tournés vers le centre du salon.

« Nous avons la chance d’être une petite équipe flexible, agile, avec peu de frais de fonctionnement, ce qui nous permet d’être très réactifs aux demandes de nos acheteurs et de nos marchands. C’est l’ADN de GemGenève : un salon à dimension humaine créé par des exposants, pour les exposants. »

La jeune création est-elle présente à chaque édition ?

Nous mettons toujours un accent particulier sur les Talents émergents et les Nouveaux designers avec le Village des Designers. Nadège Totah est en charge de cette sélection (voir encadré). Par contre, le Designer Vivarium de Viviane Becker ne se tient qu’en mai. Elle préfère se concentrer sur une édition par an, car sa curation nécessite beaucoup de recherches en amont.

Comment les grandes maisons se manifestent-elles ?

Elles interviennent de plusieurs façons au sein de GemGenève. Elles ne sont pas exposantes, car notre salon a été pensé par les marchands, pour les marchands, dans une optique d’achat-vente, alors que les grandes maisons participent en général à ce type d’événement pour présenter leurs nouvelles collections. Il s’agit pour elles d’opérations de communication. Sur le plan de la stratégie, nous n’avons donc pas le même objectif. Par contre, elles se manifestent à GemGenève de trois manières différentes. La première en tant qu’acheteuses, soit de pierres, soit de pièces qui pourraient, par la suite, enrichir leurs collections patrimoniales. Ensuite, elles intègrent notre programme culturel par le biais de conférences. Je suis en relation régulière avec les équipes du patrimoine de ces maisons et il est intéressant de souligner que pour cette 7e édition de GemGenève, les maisons Piaget, Chaumet et Van Cleef & Arpels viendront avec des propositions fortes. Enfin, la troisième possibilité est le prêt de pièces dans le cadre des expositions que nous organisons, comme Chaumet cette année qui a accepté de présenter une dizaine de bijoux exceptionnels provenant de leur collection pour notre exposition « Pearls Odyssey » (voir p.). C’est une belle reconnaissance.

Sur quelles thématiques interviendront-elles cette année ?

Piaget va présenter l’art de la plumasserie dans la haute joaillerie avec Nelly Saunier, l’une des seules artistes plumassières de cet univers hautement spécialisé. En complément de l’exposition, Violaine Bigot, responsable Patrimoine de la maison Chaumet interviendra dans la discussion « Pearls of Truth » qui abordera les perles naturelles sous de nombreux aspects historiques, techniques et scientifiques. Enfin, Van Cleef & Arpels nous fait l’honneur d’organiser le prélancement de son ouvrage à GemGenève. Ce livre, qui sera publié en janvier 2024, est le premier ouvrage entièrement réalisé par ses équipes du patrimoine en interne. J’ai eu la chance de voir des maquettes l’été dernier, c’est une splendeur !

D’une édition à l’autre, vos expositions semblent monter en puissance.

Nous apprenons de notre expérience, surtout d’un point de vue logistique et sur l’organisation des expositions. Et cette expérience nous permet d’aller toujours un peu plus loin dans nos propositions. Cette année, par exemple, nous avons imaginé une salle circulaire avec une projection à 360° pour immerger le visiteur dans l’univers des perles. Un espace central présentera de très beaux bijoux prêtés par les grandes maisons et la collection Al Fardan, l’une des plus importante au monde. En partenariat avec le laboratoire SSEF, une troisième salle sera consacrée à l’analyse scientifique et historique des perles naturelles, pour comprendre la distinction entre perles fines et perles de culture avec des photographies de Chaumet. Ceci est possible grâce à la relation de confiance qui s’est tissée au fil du temps.

C’est donc une fierté pour vous…

Ces initiatives sont venues de relations que nous développons avec les équipes patrimoniales des maisons depuis plusieurs éditions. Leur venue démontre que le programme culturel de GemGenève gagne en crédibilité grâce à la qualité des interventions et des expositions. D’ailleurs, d’autres beaux projets sont déjà en discussion pour 2024 avec une autre grande maison et un musée de Genève.

Votre positionnement est inédit dans le monde de la joaillerie…

En effet, car nous fonctionnons à la fois comme une plateforme commerciale et culturelle. C’est ce qui fait la particularité de GemGenève. Au début, nous ne nous rendions pas forcément compte de l’impact de nos conférences, mais au fil des éditions, le programme culturel a construit notre ADN. Nous valorisons avant tout les échanges et la dimension humaine. Le salon est sobre, élégant, les stands font tous la même taille. L’ambiance y est très différente de celle qui règne dans les gros salons commerciaux, avec des pubs, des lumières et des écrans partout qui saturent le public et les exposants.

Quelles places occupent l’innovation et le high tech à GemGenève ?

Ce sont des sujets abordés là aussi dans les conférences. Nous n’avons pas d’espace dédié à proprement parler aux projets high tech, mais, par exemple, nous allons aborder cette année l’utilisation de l’intelligence artificielle pour l’analyse des pierres dans les laboratoires de gemmologie lors de deux tables rondes. Une autre discussion va traiter des usages des réseaux sociaux dans l’univers de la joaillerie. Lesquels vont se perpétuer ? Lesquels vont disparaitre ? Les choses évoluent vite dans ce milieu. Certains influenceurs, qui ont acquis une belle notoriété grâce aux réseaux sociaux et à leur blog, souhaitent désormais revenir au print. C’est un peu comme dans l’art ou la mode : nous évoluons dans un univers très visuel. La valorisation des belles pierres et des belles parures passe aussi par l’édition. La librairie Bernard Letu et le Gem Collectors Shop vendent ces magnifiques livres, qui sont eux-mêmes des objets de valeur.

Un écosystème de la joaillerie est-il en train de se construire autour de GemGenève ?

Il existait déjà un petit écosystème des ventes aux enchères, avec Christie’s, Sotheby’s et l’hôtel des ventes Piguet qui proposaient déjà leurs ventes en mai et en novembre. Il était logique d’organiser le salon à ces moments-là, car nos exposants sont aussi acheteurs aux enchères et leur présence à GemGenève leur permettait de faire le viewing des maisons de ventes avant les vacations. Phillips va organiser sa première vente de joaillerie à Genève en novembre. Une dynamique se crée. Avec l’ensemble de ces acteurs, nous entretenons des contacts informels pour anticiper et nous coordonner en termes de calendrier et de propositions, même s’il ne s’agit pas encore de partenariats à proprement parler. Mais l’idée d’une Geneva Luxury Week en mai et en novembre fait son chemin. C’est un concept qui émerge et qui pourrait se rapprocher d’une Fashion Week, mais nous n’en sommes pas encore là…

GemGenèveinterview
Carine Claude
1er novembre 2023
Genève
352

Elle fait désormais figure d’habituée à GemGenève. Fondée en avril 2022 en réponse à la guerre en Ukraine, la fondation Strong & Precious créée par Olga Oleksenko est partie d’un postulat clair : « Que pouvons-nous faire personnellement pour aider l’Ukraine aujourd’hui ? » Sa réponse était toute trouvée : par l’art et la joaillerie. La mission principale de Strong & Precious consiste ainsi à faire découvrir les origines et les traditions séculaires de l’école ukrainienne de joaillerie. Pour montrer au monde une autre facette que celle de la guerre. Fonctionnant projet par projet, la fondation avait présenté à GemGenève « How Precious UA » en mai dernier, liant tradition ancestrale de la tapisserie et inspirations contemporaines. « Notre objectif était de transporter les visiteurs dans un voyage qui transcende le temps, en dévoilant les liens profonds entre le passé et le présent, et en illuminant la beauté de la culture ukrainienne. Chaque visiteur a ressenti l’attrait captivant de cette exposition et a été témoin du talent de nos designers », disait Olga Oleksenko à cette occasion. Elle revient en novembre avec un tout nouveau projet. Pour mettre de la beauté dans un monde ravagé.

GemGenèveUkraine
Carine Claude
1er novembre 2023
Genève
352

Pour cette 7e édition, GemGenève met l’accent sur les savoir-faire avec toute une série de rencontres rassemblant créateurs et maîtres d’art de haut vol. Le 1er novembre, Sabine Gyger fera découvrir le métier d’enfileuse de perles, une pratique délicate consistant à enfiler successivement et soigneusement des perles sur un fil, en suivant un motif ou un design spécifique. De son côté, le créateur d’origine suisse Matteo Stauffacher révèlera les secrets de l’art de l’émail grand feu, un véritable travail d’alchimiste. Le 2 novembre, Laurent Jolliet dévoilera le métier de chainiste qui façonne des fils d’or, de platine ou d’argent, des spires ou encore des maillons qu’il monte minutieusement. Le 3 novembre, Rose Saneuil, artiste de la marqueterie fine présentera son travail consistant à réaliser coffrets précieux et cadrans de montres pour les grands horlogers et joailliers de la place Vendôme. Pour sa part, Sara Bran présentera le même jour un métier étonnant, celui de dentellière sur or. Le 4 novembre, le métier de lapidaire, central dans l’industrie joaillière, est mis à l’honneur avec Fiona Maron. Enfin, le 5 novembre, Béatrice Binétruy parlera des vitraillistes, artisans spécialisés dans la création et la restauration de vitraux, qui, parfois, quittent le monumental des églises pour se consacrer aux délicats détails d’objets d’art et de bijoux.

GemGenèveconférence
Carine Claude
1er novembre 2023
Genève
352

En novembre, les semaines du luxe battent leur plein dans les maisons de ventes aux enchères du monde entier. À Genève, Sotheby’s organise six ventes, notamment « Vienne 1900 : une collection impériale et royale » les 6 et 7 novembre avec des pièces en provenance de plusieurs maisons royales européennes, toutes liées à la dynastie autrichienne des Habsbourg. Le 8 novembre, la vente « Magnificent Jewels and Noble Jewels » rassemble des pièces anciennes et contemporaines signées Cartier, Boucheron, Van Cleef & Arpels et Bulgari, ainsi que des bijoux historiques rares provenant de la dynastie des Savoie et du Maharaja du Népal. À ces vacations de prestige s’ajoutent des ventes de montres le 5 novembre, de sacs et d’accessoires le 9 novembre et de joaillerie le 14 novembre.

Chez Christie’s, la semaine du luxe à Genève met les montres à l’honneur et démarre par la 10e édition de la vente caritative « Only Watch » le 5 novembre, suivie le lendemain par « Rare Watches ». Toujours le 6 novembre, « Passion for Time: An Important Private Collection of Watches and Timepieces » propose en pièce maîtresse de cette collection privée du Sultanat d’Oman la Rolex GMT Master de Marlon Brando portée lors du tournage d’Apocalypse Now et estimée entre un et deux millions de francs suisses. Le 7 novembre, « Magnificent Jewels » mettra à l’honneur le fameux diamant Bleu Royal, un impressionnant diamant de 17,61 carats de couleur bleu vif, le plus gros de ce type jamais vendu aux enchères.

Surtout, 2023 marque un tournant pour les ventes de luxe à Genève. La maison Phillips y organise cette année sa toute première vente aux enchères annuelle forte de ses bons résultats dans le secteur de la joaillerie en 2022 (+185 %). Les trois vacations inaugurales du 6 novembre, en partenariat avec Understanding Jewellery, présenteront des pièces Art déco rares issues d’une grande collection privée. La concurrence s’annonce rude.

GemGenèveenchèrejoaillerie