Le nettoyage des œuvres est un pilier fondamental du processus de restauration d’une œuvre d’art. Il implique l’usage de produits, que les chercheurs du projet GREENART s’emploient à transformer pour les rendre durables.
Parmi les pratiques de la conservation-restauration d’œuvres d’art, deux branches se détachent : la conservation préventive et la conservation corrective. La première cible les éléments extérieurs à l’œuvre : ses contenants, les vitrines, caisses ou boîtes, mais aussi l’air qui l’entoure, qui peut être traité contre la pollution par exemple. La conservation corrective, pour sa part, implique un contact direct avec l’objet à l’aide de matériaux appliqués sur l’œuvre qui vont venir la nettoyer, la renforcer ou la protéger. Si les actions de renforcement et de protection appliquent des matériaux sur l’objet sous la forme d’un ajout, le nettoyage, lui, consiste à retirer des couches de sa surface. Poussière, saleté, biopollution ou patines de micro-organismes sont ainsi éliminés, mais aussi parfois les vernis vieillis ou adhésifs qui peuvent agir au détriment de l’œuvre et de son aspect lorsqu’ils se dégradent.
Gels, émulsions et mousses sont autant de produits utilisés par les restaurateurs pour mener à bien un nettoyage. Ce sont aussi sur eux que se concentrent les efforts des chercheurs du projet GREENART impliqués dans la question du nettoyage des œuvres. Parmi eux, David Chelazzi, expert en chimie et docteur en sciences pour la conservation du patrimoine culturel, explique : « Nous voulons les rendre verts, en utilisant des matériaux verts, des méthodologies vertes. Ils doivent devenir durables sous tous leurs aspects, avec des matières premières non toxiques, et une production peu coûteuse en énergie. » À la base de l’entièreté du projet en effet, l’utilisation de matériaux écologiques implique la prise en considération de toutes les étapes de production des nouveaux produits élaborés.
Étapes de production
Pour mener à bien l’élaboration de leurs produits, les chercheurs suivent plusieurs étapes. Ils doivent d’abord trouver et proposer des composants de base : « C’est à ce moment-là que nous sélectionnons les meilleurs matériaux non toxiques et abordables », commente David Chelazzi. Gels, nanoparticules, films, dispersions de polymères… : assemblés, les produits sont évalués en laboratoire puis auprès de restaurateurs pour en mesurer l’efficacité. Puis David Chelazzi, accompagné d’Elena Semezin, docteure en sciences environnementales, et de son équipe, s’assure lors d’un nouvel examen la prise en compte des exigences liées au produit à toutes ses étapes de vie.
Deux voies s’offrent aux chercheurs quant à la fabrication de leurs produits. La première consiste à prendre les meilleurs matériaux fabriqués au cours des dernières décennies et à les réécrire en utilisant des composants plus écologiques. La seconde, à créer de toute pièce de nouveaux systèmes. « Il y a de nombreux matériaux à disposition. Des déchets aussi, ou des composés naturels ou biologiques auxquels nous pouvons donner une nouvelle vie, révèle le chercheur. En réalité, le plus difficile est de repenser et recombiner ces matériaux, avec telle ou telle manipulation chimique ou physique, ce qui est au cœur de notre travail. » Car dans l’élaboration de ces produits, chaque étape compte et leur formulation est décisive pour obtenir un résultat qui soit efficace à l’utilisation.
Vert et efficace
Le critère d’efficacité est un élément majeur pour les chercheurs de GREENART, leurs nouveaux produits devant surpasser ce qui est aujourd’hui disponible sur le marché. Cette efficacité relève tant de la sensibilité de la surface des objets à traiter que de la polyvalence des matériaux préparés. David Chelazzi explique : « Lorsque nous utilisons des gels pour nettoyer des œuvres d’art, nous voulons être sûrs qu’ils puissent enlever les salissures ou les vernis vieillis sans altérer les pigments originaux et les différentes couches. » Les mélanges de solvants traditionnels peuvent faire gonfler la peinture ou atténuer les couleurs ; ils nécessitent donc éventuellement une vérification étape par étape de l’élimination de la saleté. Au contraire, les gels innovants élaborés par GREENART permettent d’être sélectif au niveau des salissures qui se trouvent entre le gel et la peinture : « C’est un processus plus sûr et plus rapide parce qu’il n’y a pas besoin de vérifier sans cesse ce que l’on fait », commente le chercheur.
Les méthodes traditionnelles en effet, utilisent des solvants organiques mal confinés, qui contiennent une toxicité inhérente et sont souvent issus du pétrole. Composés de polymères naturels, issus de déchets, ou synthétiques, les gels développés par GREENART sont moins toxiques. Ils peuvent aussi être appliqués de manière plus contrôlée : « L’amélioration de l’efficacité ne réside pas seulement dans la quantité d’éléments enlevés à la surface d’un objet, mais aussi dans la sécurité avec laquelle ils sont retirés », confie David Chelazzi. Les gels et liquides nettoyants GREENART permettent en effet de détacher les vernis de la surface plutôt que de les dissoudre complètement comme le font aujourd’hui les méthodes traditionnelles.
Des produits durables
Les nouveaux matériaux de GREENART sont donc plus verts, et plus efficaces. Et ici, l’exigence de durabilité n’affecte en rien cette efficacité, bien au contraire, car l’approche écologique de GREENART accompagne main dans la main la bonne conservation du patrimoine culturel : une conservation durable dans le temps, car respectueuse de l’environnement… mais aussi des objets traités. De la même manière, les émulsions mises au point par les chercheurs utilisent de l’eau en veillant à en maximiser les effets nettoyants tout en en limitant le gaspillage.
Quant aux critères de durabilité d’un produit, ils s’étendent à l’ensemble de son cycle de vie. « Ils doivent également être sûrs dans leur application et leur utilisation par les restaurateurs, conservateurs, et tous les utilisateurs possibles, explique David Chelazzi. Nous voulons non seulement utiliser des matériaux innovants et efficaces, mais aussi les rendre, dans la mesure du possible, abordables pour les utilisateurs. Et d’une manière générale, proposer une qualité nettement supérieure à celle des produits de référence sur le marché, pour le même prix. » Au-delà d’une dimension écologique évidente, la durabilité des nouveaux produits GREENART doivent donc aussi répondre à des standards de sécurité, en proposant des formulations non toxiques, ainsi qu’à des critères financiers en étant abordable. Car pour être durables, leurs prix ne doivent pas non plus être trop élevés. « Ou alors, ils doivent se justifier par une très haute qualité du matériau et une efficacité de longue durée, sur cinquante, cent ans », commente le chercheur.
Bénéfices transversaux
Si le monde de la conservation-restauration en œuvres d’art paraît restreint par rapport à l’ampleur du projet, c’est que les efforts fournis par les chercheurs ne se limitent pas à ce seul domaine. Il est aussi question ici de bien-être social, de conserver l’identité d’une société à travers ses biens matériels et de faciliter l’accès des œuvres d’art aux générations futures, dotant d’une valeur symbolique l’approche durable prônée par GREENART. Et de manière concrète, les solutions apportées par les scientifiques pourraient s’étendre à d’autres champs scientifiques et technologiques.
Si les matériaux développés peuvent être transférés à d’autres secteurs, c’est aussi le cas de la méthodologie appliquée par GREENART. Le développement du life-cycle assessment, notamment, permet de proposer une harmonisation des standards verts : « Le cadre scientifique que nous développons et la méthodologie écologique que nous suivons peuvent être utilisés pour l’industrie alimentaire, pharmaceutique ou cosmétique. » La portée de la recherche pour la conservation-restauration verte des œuvres d’art dépasse ainsi largement ce seul domaine.
Vers une transmission de l’approche verte
Dans le domaine de la recherche en conservation du patrimoine culturel, la question du développement durable fait l’objet d’une attention croissante. Si déjà dans les années 70, une poignée de scientifiques commençait déjà à se pencher sur le sujet, la recherche a pris de l’ampleur ces quinze dernières années, avec une accélération depuis cinq ans. « Nous ne sommes pas exactement partis de zéro, commente David Chelazzi. Le nettoyage justement, est l’un des domaines parmi lesquels le CSGI disposait de la plus grande expérience, nous sommes donc bien avancés. »
Actuellement, David Chelazzi et son équipe terminent les évaluations de leurs produits en laboratoire, qui seront bientôt testés par des restaurateurs. Leur utilisation différant des outils traditionnels de par leurs mécanismes physico-chimiques, les professionnels devront aussi être formés. Une étape décisive, qui sonne aussi comme un défi pour GREENART. Alors que les utilisateurs de ces produits ne sont pas tous scientifiques, il s’agira aussi de proposer des ateliers et des réunions avec les restaurateurs pour les sensibiliser à ces nouveaux produits. « Et pour que l’on nous fasse confiance, il faudra aussi montrer que ce que nous proposons fonctionne », conclue David Chelazzi.